Les gratuits, des quotidiens qui ont aussi leur crise

Baisse de la diffusion, comptes dans le rouge : les quotidiens gratuits traversent une mauvais passe (photo d'illustration).
Baisse de la diffusion, comptes dans le rouge : les quotidiens gratuits traversent une mauvais passe (photo d'illustration). © MAXPPP
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Louis Hausalter , modifié à
PRESSE - 20 minutes, Metronews et Direct Matin ont tous les trois vu leur diffusion baisser en 2013. Pourquoi ?

Ce n'était jamais arrivé. Pour la première fois, la diffusion des trois grands quotidiens gratuits français a baissé l'année dernière. Selon les chiffres de l'OJD, l'organisme chargé de comptabiliser la diffusion de la presse, le leader 20 minutes comme ses concurrents Direct Matin et Metronews ont distribué moins d'exemplaires en 2013 qu'en 2012.

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Aucun gratuit n'est rentable. Ces baisses de diffusion restent légères - quelques dizaines de milliers d'exemplaires, sur un tirage qui dépasse les 900.000 pour 20 minutes et Direct Matin. Elles traduisent néanmoins la situation inquiétante de ces journaux qui, malgré leur gratuité, n'échappent pas à la crise de la presse écrite. Ainsi, en 2013, aucun des quotidiens gratuits d'information n'a gagné de l'argent, rapporte le journal Les Echos. Lancé en 2002 en France, 20 minutes vient de publier sa première perte depuis cinq ans. Metronews, qui a le même âge, est également déficitaire. Direct Matin, créé en 2007, perd de son côté de l'argent depuis sa naissance.

Patrick Eveno 30/01/2014

Pourquoi ça va mal. "Ces journaux vivent uniquement de recettes publicitaires. Or, la publicité a migré vers le Net", rappelle pour commencer Patrick Eveno (photo), historien des médias, joint par Europe1.fr. Les gratuits souffrent aussi de l'évolution des usages : plus mobiles, plus connectés. "Cette presse est distribuée dans les transports en commun. Mais aujourd'hui, les gens qui prennent le bus ou le métro sont de plus en plus sur leurs smartphones, et ont moins le réflexe de prendre le journal", constate l'universitaire.

Les gratuits traversent-ils seulement une mauvaise passe ou assise-t-on à une profonde remise en cause du modèle ? Difficile à dire, pour Patrick Eveno, qui rappelle néanmoins que "les quotidiens gratuits ont rarement été bénéficiaires". Leur handicap : "la publicité ciblant leur lectorat, qui est un public peu acheteur, au niveau social et culturel moindre que celui des quotidiens payants, ne se vend pas très cher".

Comment ils essaient de sortir la tête de l'eau. Les gratuits n'ont pas décidé de mettre la clé sous la porte et essaient de se réinventer. D'abord en révisant à la baisse leurs ambitions de diffusion papier. Plus question de se battre pour atteindre en premier le seuil du million d'exemplaires. 20 minutes et Metronews limitent désormais leurs lieux de distribution, avec l'objectif de diminuer leurs charges. Les dirigeants serrent aussi la vis sur les coûts salariaux. Chez 20 minutes, un plan social visant 13 postes, essentiellement des photographes, a provoqué une grève de la rédaction en décembre, tandis que du côté de Metronews, les embauches sont gelées.

Surtout, forts de marques connues du grand public, ces titres misent désormais sur le numérique. "Nous avons parié sur la convergence dès 2007, en investissant dans notre site", fait-on valoir chez 20 minutes, où l'on défend la cohérence de cette stratégie : "penser l'information en mobilité, c'est dans l'ADN de la presse gratuite. Aujourd'hui, on constate que le mobile explose. Il faut réussir à capter cette consommation".

08/07/2002 20 minutes gare Saint Lazare Paris 930x620

Metronews l'a bien compris, qui a lui aussi investi le champ numérique depuis deux ans en fusionnant ses équipes. Aujourd'hui, une seule rédaction produit d'abord des contenus pour Internet, ensuite pour le papier. "Ça se passe plutôt bien, parce que l'équipe est assez jeune et s'est bien adaptée", explique un journaliste à Europe1.fr.

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En revanche, chez Direct Matin, le développement du "print" reste primordial. Le journal compte s'implanter dans quatre villes supplémentaires en ce début d'année. Son tirage n'en a pas moins baissé de plus de 100.000 exemplaires depuis 2011. Et le titre s'est aussi lancé sur le Web en avril 2012.

bollore

De "l'acharnement thérapeutique" pour rien ? Derrière la bataille des gratuits, c'est une lutte d'actionnaires puissants qui se joue. 20 minutes est codétenu par le groupe norvégien Schibsted et Ouest-France. Metronewsest aux mains de TF1 depuis 2011. Direct Matin est la propriété de son fondateur, l'industriel Vincent Bolloré (photo), qui n'en a jamais retiré un centime. Pour l'instant, chacun semble prêt à rester dans la course, même au prix de pertes financières.

Mais "c'est de l'acharnement thérapeutique", juge Patrick Eveno pour qui ce secteur est aussi victime d'une trop forte concurrence en son sein. "Il est évident qu'il n'y a pas de place pour trois gratuits en France. La mort de l'un d'entre eux ferait du bien aux deux autres", constate-t-il, pragmatique. Mais bien malin qui peut prédire lequel sera le premier à craquer.

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