Arte interdit de diffuser Intime conviction

Philippe Torreton joue l'accusé dans "Intime conviction" sur Arte.
Philippe Torreton joue l'accusé dans "Intime conviction" sur Arte. © Maha Productions
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JUSTICE - Acquitté en octobre aux assises, le docteur Jean-Louis Muller a fait interdire la diffusion d'une fiction inspirée de son procès.

La controverse. Les internautes ne sauront pas si le "docteur Villers" est reconnu coupable ou non. Intime conviction, un dispositif bimédia qui plonge le public au cœur d'un procès de cour d'assises, était proposé par Arte sur son site web depuis la mi-février. Mais une juge des référés de Paris a ordonné jeudi à la chaîne de cesser la diffusion sur tous les supports, sous astreinte de 50.000 euros. C'est le docteur Jean-Louis Muller, acquitté définitivement de l'accusation de meurtre de sa femme en octobre, qui avait saisi la justice pour demander le retrait de cette fiction, inspirée de son propre procès.

Les avocats de la société de production ont immédiatement dénoncé "un véritable censure" et ont annoncé leur intention de faire appel. L'audience d'appel en référé est prévue vendredi à 14 heures. Néanmoins, l'appel n'étant pas suspensif, le programme a été retiré par Arte. La chaîne indique dans un communiqué simplement "prendre acte" de la décision. La chaîne "regrette de mettre fin de manière anticipée à cette expérience inédite de découverte du fonctionnement de la justice".

Les internautes se prononcent. Le téléfilm Intime conviction, avec Philippe Torreton dans le rôle de l'accusé, le "docteur Villers", a été diffusé le 14 février sur Arte. Un succès d'audience : 1,4 million de téléspectateurs étaient au rendez-vous. Mais la chaîne franco-allemande a choisi de prolonger le suspense sur Internet. Un site dédié permettait aux internautes de suivre le procès d'assises du docteur, reconstitué et filmé, jusqu'à dimanche. Ce jour-là, le verdict du jury devait tomber. En parallèle, les internautes pouvaient eux aussi livrer leur propre verdict, et voter pour la condamnation ou l'acquittement de l'accusé.

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© DR

Un dispositif innovant qui n'était pas du goût des avocats de Jean-Louis Muller, qui estimaient que ce programme jetait à nouveau le doute sur son innocence. "Le risque même que deux internautes votent en faveur de sa culpabilité provoquera un préjudice pour le docteur Muller", a affirmé l'un d'entre eux, Me Eric Dupont-Moretti (photo), lors de l'audience en référé qui s'est tenue mercredi.

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De nombreuses ressemblances. De fait, Intime conviction est "librement inspiré" de l'affaire Muller, avait reconnu le réalisateur du documentaire, Rémy Bürkel, dans Libération. Me Dupont-Moretti a rappelé les similitudes entre le docteur Muller et le personnage de la fiction : un médecin légiste qui a "à peu près le même âge", marié, père de deux garçons. Il a également égrené les ressemblances avec l'affaire qui a valu 14 ans de lutte judiciaire à Jean-Louis Muller : une épouse dépressive, blessée à la tête par un sabot de cheval, le drame ayant lieu dans la salle de jeux des enfants.

De leur côté, les avocats d'Arte et de la société Maha productions ont insisté au cours de l'audience sur le statut de fiction de l'œuvre, mettant en avant "une émission pédagogique".

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© Capture Arte.tv

Le vote des internautes, "une interférence". "S'inspirer de faits réels pour en faire une fiction ne pose aucun problème, c'est protégé par un principe constitutionnel", explique Roland Perez, avocat spécialiste des médias, interrogé par Europe 1.fr. "Mais dans la mesure où l'on permet aux internautes de se prononcer sur la culpabilité de l'accusé, cela peut créer une interférence. La justice est rendue au nom du peuple, et lorsque quelqu'un a été acquitté au nom du peuple, on ne peut pas refaire le procès".

Un raisonnement visiblement suivi par le tribunal en première instance. La juge des référés a estimé que "l'atteinte portée à la vie privée du docteur Jean-Louis Muller et le préjudice subi du fait du programme qui propose de le rejuger, et ce quelle que soit l'issue du faux procès ou le résultat des votes des internautes, sont d'une telle ampleur que la demande de cessation de diffusion du programme sans délai (...) est justifiée".