Tous les jours, Vincent Hervouët livre ses analyses de politique internationale sur Europe 1 (Illustration) 7:43
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Vincent Hervouët
Tous les jours, Vincent Hervouët livre ses analyses de politique internationale. Ce lundi, il revient sur le retour du "syndrome libanais" dans la guerre qui oppose l'Ukraine et la Russie. Avec une question en filigrane : la guerre peut-elle justifier le pire ? 
EDITO

Les Russes accusent les Ukrainiens de terrorisme. La destruction du pont de Crimée revêt une importance stratégique et surtout symbolique pour le Maître du Kremlin. Poutine l'a voulu, il l'a inauguré. Il a même été le premier à l'emprunter au volant d'un camion.

Tout le week-end, les dirigeants ukrainiens se sont mordu les lèvres pour ne pas hurlaient de joie. Ils ont revendiqué le coup à demi-mot, puis ils ont démenti mollement et finalement, ils ont accusé les services secrets russes de s'être livré à des règlements de comptes obscurs. C'est le détail qui tue. C'est le retour du syndrome libanais !

Le syndrome libanais 

Dans les années 80, le Liban était la foire d'empoigne des milices, des voisins, des parrains de la région, des grandes puissances. La guerre de tous contre tous. J'avais là bas un ami très intelligent, appelons-le Joe. Joe est un professionnel du renseignement, expert en mort violente. Après chaque attentat, Joe m'expliquait que celui qui avait fait le coup n'est pas celui à qui il profitait, mais un troisième qui voulait incriminer le suspect le plus évident ou encore un quatrième qui voulait aggraver le chaos.

Cette mise en abyme vertigineuse, c'est le syndrome libanais. Aujourd'hui, il existe un syndrome ukrainien. Lorsque, le pont de Crimée saute, Kiev accuse les services russes. Lorsque les lignes électriques qui alimentent la centrale nucléaire de Zaporijia et assurent le refroidissement du réacteur sont coupées, Kiev prétend qu'elles ont été bombardés par les artilleurs russes. Ils mettent en danger l'installation qu'ils occupent et qu'ils viennent d'annexer, semblent-ils dire.

Lorsqu'une journaliste est assassinée à côté de Moscou, ce sont encore les services russes qui sont critiqués. Ils visaient son père, Alexandre Douguine, un intellectuel qui inspire Poutine mais qui n'est pas monté dans la voiture piégée. La presse française reprend cette théorie et enterre la consœur sans verser une larme. Lorsque Nord Stream 1 et 2 sont sabotés en mer Baltique, envoyant par le fond 13 milliards de dollars et créant l'irréversible. Encore un coup des Russes !

"C'est du terrorisme d'Etat"

Les affaires libanaises ont fini par être élucidées. Dix ans après, les témoins parlent, les archives s'ouvrent et l'hypothèse la plus simple s'est toujours vérifiée. Ce sont bien les Syriens qui ont tué Béchir Gemayel. Ce sont bien les Forces libanaises qui ont fait sauter l'hélicoptère du Premier ministre Rachid Karamé. Et ce sont bien les Iraniens et le Hezbollah qui ont pulvérisé Rafic Hariri.

Le New York Times, citant des sources du renseignement américain, a rapporté que les services ukrainiens avaient tué Daria Douguine et raté son père. On comprend que les Ukrainiens détestaient le vieux théoricien du panslavisme qui prétend que leur nation n'existe pas. Mais de là à mettre une bombe dans sa voiture, il y a un pas que les démocraties s'interdisent de franchir. C'est du terrorisme d'Etat.

S'il s'avère que, pareillement, les services américains ou occidentaux ont saboté les gazoducs, ce qui serait d'ailleurs logique mais sans précédent, on saura que désormais toutes les provocations sont permises et que Poutine n'est pas le seul à jouer avec le pire.