Scandale Harvey Weinstein : pourquoi seulement maintenant ?

Harvey Weinstein
Harvey Weinstein © ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP
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Depuis plusieurs jours, les langues se délient : de nombreuses femmes accusent le célèbre producteur d’agressions sexuelles. Les faits, pour certains, remonteraient à plusieurs décennies.

Le "Dieu" de la production cinématographique, comme le surnommait il y a quelques années Meryl Streep, est tombé de son trône. Harvey Weinstein, le producteur le plus puissant d’Hollywood, est au cœur d’un scandale qui secoue toute l’Amérique. Depuis des décennies, ses victimes présumées gardaient le silence. Mais depuis près d'une semaine, les accusations d’agressions sexuelles concernant l’ancien homme fort du cinéma américain se multiplient. Mardi, Harvey Weinstein a même été licencié par les actionnaires de la société de production qu’il a lui-même créée. Et sa femme a annoncé via un communiqué qu'elle le quittait. Mais pourquoi le scandale n’éclate-t-il maintenant ? Eléments de réponse.

Les langues se délient depuis une semaine…

Le scandale a éclaté au grand jour jeudi dernier, après une enquête du New York Times. Plusieurs actrices (dont Ashley Judd) et anciennes collaboratrices du producteur ont évoqué des agressions sexuelles commises par l’ancien magnat d’Hollywood. Cette semaine, un nouvel article du quotidien américain et un autre du New Yorker relayent de nouveaux témoignages, certaines actrices parlant même de viols, à l’instar de l’Italienne Asia Argento. D'Angelina Jolie à Emma de Caunes en passant par Lucia Evans ou Gwyneth Paltrow… les témoignages se multiplient depuis l’enquête du New York Times (lire notre résumé ici).

… Mais les faits remonteraient à bien plus longtemps

La plupart des faits évoqués remontent aux années 90. Pourquoi le silence a-t-il donc mis si longtemps à se briser ? Selon le New Yorker, Harvey Weinstein lui-même, assisté des avocats et de son équipe de relations publiques a fait en sorte, depuis des décennies, que rien ne soit rendu public quant aux cas de harcèlement, d'agression ou de viols présumés. Par des dédommagements financiers et des menaces sur la carrière des victimes, il serait parvenu à garder secrètes toutes ces accusations, jusqu’à ce que plusieurs employées de sa société acceptent de parler au New York Times. Selon le quotidien américain, au moins huit "accords amiables" ont été signés avec des femmes pour qu’elles gardent le silence.

La presse et la justice trop frileuses ?

Le scandale a toutefois failli éclater au grand jour bien avant, au moins à deux reprises. Sharon Waxman, une ancienne journaliste du New York Times aujourd’hui à la tête du site The Wrap, accuse ainsi le grand quotidien américain d’avoir voulu étouffer une enquête sur Harvey Weinstein en 2004. La journaliste soutient qu’elle disposait de preuves de l’existence d’au moins un accord à l’amiable passé entre le producteur et une femme agressée. Elle assure également avoir des informations sur le "double emploi" de l’un des proches du producteur, Fabrizio Lombardo : officiellement dirigeant de la branche Italie de Miramax à l’époque, il aurait en réalité été chargé de trouver des femmes pour "satisfaire l’appétit de Weinstein" en Europe.

L’enquête ne paraîtra toutefois jamais. Et la journaliste accuse aujourd’hui le New York Times d’avoir cédé à des pressions. "Je savais qu'il avait beaucoup de pages de pub dans le Times. Et qu'il était une personne très puissante. Mais j'avais les preuves et on était au New York Times, pas vrai ?", s’étonne-t-elle encore aujourd’hui. L’argument est balayé d’un revers de main par l’ancien rédacteur en chef du journal : "Sharon Waxman a eu une décennie pour publier son enquête. Pourquoi, si elle tenait quelque chose sur Weinstein en 2004, n'a-t-elle pas publié quoi que ce soit sur The Wrap, qu'elle dirige ? Peut-être est-ce parce qu'elle n'avait rien, à l'époque et rien maintenant ?"

" Je sais que tout le monde – et je dis bien tout le monde – à Hollywood est au courant de ce qui se passe "

Reste que ce n’est pas la seule fois où l’ancien "Dieu" d’Holywood semble être passé à travers les mailles du filet. En 2015, en effet, la police new yorkaise était en possession d’un enregistrement (que le New Yorker révèle cette semaine) relatant une conversation entre Weinstein et la mannequin italienne Ambra Battilana Gutierrez, qui avait alors un micro caché. On entend le producteur lui demander, de façon agressive, de le rejoindre dans sa chambre, avant de la laisser partir. On l’entend également reconnaître lui avoir touché les seins sans son consentement la veille.

Mais le procureur de Manhattan, en possession de l’enregistrement peu après les faits, décidera finalement d’abandonner les poursuites. La raison ? La jeune femme était accusée par certains tabloïds d’avoir participé à des soirées "bunga bunga" chez Silvio Berlusconi. Elle aurait, aussi, déjà accusé un businessman italien d'agression sexuelle, avant de se rétracter. Autant d’éléments qui, selon le New Yorker, ont conduit le procureur à abandonner toutes poursuites. "Bien que l'enregistrement soit horrible à écouter, ce qui émerge de l'audio est insuffisant pour prouver un crime selon la loi de New York", s’explique aujourd’hui le parquet de New York.

Tout Hollywood savait-il ?

Mais ces épisodes laissent tout de même une question en suspens aujourd’hui : combien de personnes étaient-elles au courant ? Selon l’ex-journaliste du Times Sharon Waxman, les acteurs Matt Damon et Russell Crowe lui auraient téléphoné à l'époque, afin de discréditer ses informations. "Je sais que tout le monde – et je dis bien tout le monde – à Hollywood est au courant de ce qui se passe", affirme par ailleurs au New Yorker Emma de Caunes. D’anciens employés du producteur décrivent aussi dans le même journal "une culture de la complicité" au sein de la société de production de Harvey Weinstein.

Dans le milieu des comédiens, les penchants sexuels exacerbés d'Harvey Weinstein semblaient en tout cas de notoriété publique, donnant même l’occasion à des "blagues" sur le sujet. En 2013, lors de l'annonce de la nomination aux Oscars, le comédien Seth MacFarlane présente les actrices nominées avec cette introduction : "Félicitations, cinq femmes ne doivent plus faire semblant d'être attirées par Harvey Weinstein." Dans un épisode de la saison  6 de la série 30 Rock, l'actrice Tina Fey y va aussi de sa "boutade" : "Je ne crains personne dans le show business. J'ai refusé de coucher avec Harvey Weinstein à au moins trois reprises."

"Tout le monde ne savait pas. Je ne savais pas. Je ne pense pas que tous les journalistes d’investigation dans le monde du spectacle et des médias d’information auraient négligé d’en parler", a pour sa part réagi l'actrice Meryl Streep dans un message publié sur le site du Huffington Post, comme pour expliquer son silence. "Je n'essaierai jamais de faire pression sur une histoire comme cela. Je ne ferais pas ça. Ce n'est pas quelque chose que je ferai. Pour personne", s’est également défendu Matt Damon, assurant qu’il ignorait totalement les rumeurs. À en croire sa réaction, la propre épouse de Harvey Weinstein ne savait rien. "J’ai le cœur brisé pour toutes ses femmes qui ont subi d’horribles souffrances à cause de ses actes impardonnables. J’ai choisi de quitter mon mari", a annoncé Georgina Chapman dans un communiqué publié mardi.

"Pas mal de rumeurs circulaient. Il y avait quand même une part d'ombre, on savait qu'il avait une personnalité extrêmement agressive. On le voyait dans sa façon de faire du business, mais on ne savait pas forcément qu'il y avait toute cette histoire de mise en scène dans les chambres d'hôtels", précise sur Europe 1 Elsa Keslassy, correspondante en France pour le magazine Variety. "Je connais beaucoup de gens qui ont fait du business avec lui, et il n'a jamais eu de comportements inappropriés avec ces jeunes femmes. Je pense qu'il s'attaquait principalement à de jeunes actrices, vulnérables", avance la journaliste. Et d’asséner : "C'est un abus de pouvoir pur et simple".

Un homme de pouvoir, reconnu au cinéma et influent en politique

Du pouvoir, Harvey Weinstein en avait effectivement, beaucoup. Un mot de sa part aurait suffi à briser une carrière en devenir. À 65 ans, il apparaît comme l’un des plus grands virtuoses de la production cinématographique. "Pulp Fiction", "Kill Bill", "Gangs of New York", "The Artist", "Carol", "Shakespeare in love", "Le patient anglais"... Les œuvres qu’il a financées (ou cofinancées) ont accumulé 303 nominations et récolté 75 statuettes aux Oscars, entre autres récompenses prestigieuses. Le magnat à la carrure de colosse - il pèse plus de 136 kg – possède aussi une fortune estimée à 150 millions de dollars (environ 125 millions d'euros).

" Toutes les accusations de relations sexuelles non consenties sont réfutées "

Il était surtout connu comme philanthrope, champion des causes progressistes… et aussi comme gros donateur du parti démocrate. Mardi, la famille Obama et Hillary Clinton ont fait part de leur "écœurement" face aux agissements du nouveau paria d’Hollywood. Longtemps, toutefois, ils furent proches : la fille de l’ancien couple présidentiel avait obtenu un stage dans sa société, et les principaux cadres du parti démocrates se sont presque tous affichés au moins une fois en compagnie du producteur, lorsqu’il était encore adulé.

Harvey Weinstein s’est-il servi de son pouvoir pour étouffer des affaires ? Lui, pour sa part, continue de nier. "Toutes les accusations de relations sexuelles non consenties sont réfutées par M. Weinstein. M. Weinstein a également confirmé qu'il n'y avait jamais eu de représailles contre des femmes qui avaient refusé ses avances", a réagi Sallie Hofmeister, la porte-parole du producteur, dans une déclaration transmise à plusieurs médias américains. Pour l’heure, le producteur déchu se réfugie en Europe, ou il suivrait, selon ses proches, une cure de désintoxication au sexe. Il espère, encore, avoir "une seconde chance". Pas sûr qu’elle le lui soit offerte.