Rio en faillite : "J'espère que je ne vais pas mourir d'ici lundi… "

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Charles Carrasco, notre correspondant au Brésil, édité par B.B , modifié à
La fermeture du téléphérique, engendré par la crise économique qui frappe le pays, a bouleversé la vie des habitants des favelas.
REPORTAGE

Même le carnaval, qui vient de se terminer, a été terni par des accidents de chars. La plus grande fête populaire du monde a tout de même permis aux Brésiliens d'oublier pendant quelques jours la terrible crise économique qui frappe le pays. A Rio de Janeiro, la situation est très grave. La ville ne se remet pas des investissements colossaux qu'elle a consentis pour l'organisation du Mondial de foot en 2014 et les Jeux olympiques en août dernier.

Pour s’en rendre compte, les Carnets vous emmènent au Complexe do Alemao (almaon), un gigantesque ensemble de 13 favelas dans le nord de la ville. Depuis le mois d'octobre, l’immense téléphérique qui y mène, construit en 2011, est à l'arrêt. Reportage de notre correspondant, Charles Carrasco.

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Deux garçons jouent au foot sur un terrain surplombant le gigantesque complexe do alemao. Des collines à perte de vue sur lesquelles sont suspendues 13 favelas. Jusqu'au mois d'octobre, elles étaient reliées par un téléphérique long de trois kilomètres et demi. Quelque 9.000 voyageurs montaient à bord chaque jour. Aujourd'hui, l'une des cinq stations, Palmeiras, est déserte. L'Etat de Rio n'a plus l'argent pour payer l'entretien.

"On est à l'arrêt. Je vends quelques gâteaux par ci par là…" Tous les petits commerces autour ont fermé. Reste tout juste un commissariat de police barricadé derrière des murs en béton anti balles, des chats errants et Dimas, l'un des derniers irréductibles qui tient un restaurant quasi vide. Ce patron n'a pas pu conserver ses six employés : "on est à l'arrêt. Je vends quelques gâteaux par ci par là… Tout ça à cause de l'arrêt du téléphérique. Maintenant, je travaille surtout avec les habitants du coin. Le téléphérique était le symbole du complexe do alemao. Ca permettait de mettre en valeur notre travail. Aujourd'hui, on se sent abandonné. C'est un brutal retour en arrière…"

Finie la période où Dimas voyait sur le perron de son restaurant des touristes du monde entier et le prince Harry d'Angleterre en visite officielle. Un des clients, David, 17 ans, habitant du quartier, est venu chercher sa barquette de poulet grillé. Ce collégien de la favela met maintenant trois fois plus de temps pour aller en cours : "Avant, le téléphérique me laissait pratiquement à la porte de l'école. Maintenant, je dois prendre une carte pour y aller en autobus. Parfois, le professeur ne me laisse même pas entrer parce que je suis en retard. Ce n’est pas ma faute. C'est la faute des autobus qui sont en retard".

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"Il y a eu des tirs qui ont éclaté. Il n'a pas survécu…" Cette station de téléphérique, véritable lieu de vie pour toute la communauté environnante, abrite aussi une bibliothèque. Elle est aujourd'hui fermée à cause du manque d'argent mais aussi de la violence. Le complexe do alemao, qui possède une police pacificatrice, voit les affrontements entre policiers et trafiquants s'intensifier.

Daniel et l'un de ses amis (photo ci-dessous) sont tranquillement en train d'écouter de la musique. Puis tout d'un coup, les balles sifflent à proximité : "Ce sont des tirs des policiers là". "Maintenant, il y beaucoup de tirs. Au moins trois ou quatre fois par semaine ! Je me souviens en novembre… En bas de la favela, un garçon était en train de jouer au foot avec un de ses copains. Et puis il y a eu des tirs qui ont éclaté. Il n'a pas survécu…"

Une violence et des caisses vides qui ont aussi contraint à la fermeture d'un petit hôpital public, lui aussi dans la station de téléphérique. Les médecins ont déménagé tout en bas de la favela, dans un immense préfabriqué où la salle d'attente est bondée. Tiara, jeune maman, qui a des douleurs à la tête, n'a pas pu voir un médecin : "C'était bien cet hôpital en haut. C'était plus facile d'accès pour les personnes qui habitaient là-bas. Moi je me sentais mal donc je suis venu ici. Personne n'a pas pu me recevoir. Je vais rentrer chez moi. Ils m'ont dit de revenir lundi. J'espère que je ne vais pas mourir d'ici lundi… "

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Entre détresse et colère. En face de cet hôpital, la vie s'est aussi arrêtée dans la "vila olimpica". Un centre d'activités sportives pour les enfants. Les salaires des employés sont, comme tous les fonctionnaires de Rio, en retard de plusieurs mois. Nilma, une femme qui habite dans le quartier, ne sait plus comment occuper ses enfants : "c'était un super endroit, on ne devait rien payer. C'était justement pour les personnes les plus défavorisées. Dans une favela, les jeunes doivent se maintenir occupés car ici ce n'est pas bon de ne rien faire… Du coup, maintenant, ils font du vélo ou jouent au foot dans la rue, et ils ne sont pas toujours en sécurité…"

Un sentiment d'abandon mêlé à une colère généralisée contre la corruption des politiques. Pour les habitants du Complexe do Alemao, il s'agit d'une énième faillite, d'un nouvel épisode de  l'échec des politiques publiques à Rio. Et les Jeux olympiques n'auront fait qu'empirer la crise. Si le téléphérique n'est pas remis en route prochainement, ce sont 150 personnes qui vont aussi se retrouver sans emploi…  

>> Charles Carrasco, vous êtes notre correspondant au Brésil. On a entendu dans votre reportage que dans certains quartiers, c’est la catastrophe. Mais globalement, dans la ville, qu'en est-il réellement ?