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Gwendoline Debono, envoyée spéciale à Téhéran, édité par B.B , modifié à
Vendredi, les Iraniens étaient invités à élire leur président. L’occasion de faire le bilan des huit années de la présidence Rohani.
REPORTAGE

Vendredi, 55 millions d’Iraniens étaient appelé aux urnes pour élire le président du pays. Des élections cruciales car deux visions de l’Iran s’opposent. Celle du conservateur Ebraim Raissi, ancien procureur, et celle d’Hassan Rohani, l’actuel président. Il a passé quatre ans a la tête du pays, et il a été élu sur deux promesses : redonner sa place à l’Iran sur la scène internationale et relancer l’économie. L’envoyée spéciale d’Europe 1 est en Iran depuis plusieurs jours pour chercher à comprendre ce que pensent les Iraniens de la présidence d’Hassan Rohani. Reportage.

On a coutume de dire, en Iran, que les élections se jouent sur les derniers jours de campagne. A Téhéran, l’adage était visible, particulièrement à la tombée du jour. Sur les grandes artères de la ville, on a assisté à des rassemblements, bruyants et festifs. Vous voyez alors du violet partout - les voiles des femmes sont de cette couleurs, les t-shirts des hommes et leur bracelet de tissus aussi -, la couleur qui représente l’actuel président Hassan Rohani.

"A l’université, on a beaucoup de liberté". Les militants, en grande majorité des jeunes, arrêtent les voitures pour distribuer des tracts, se réunissent pour chanter des slogans, à l’image d’Hossein, étudiant en sciences à l’université. Lui vote Rohani car, dit-il, "avec lui, ces quatre dernières années nous avons respiré" :

"Son rapport aux jeunes dans le pays a été très bon. A l’université, on a beaucoup de liberté. Cette liberté a clairement augmenté  comparé aux huit ans de présidence d’Ahmadinejad. On peut avoir des activités politiques dans l’enceinte de l’université, on peut défendre nos idées. On peut défendre le camp réformiste et il n’y a personne pour attaquer ces libertés à l’intérieur de l’université, c’est une très bonne chose et ce n’était pas le cas il y a huit ans. Et ça ne se ressent pas qu’à l’université mais aussi au cinéma et au théâtre, surtout au théâtre on a plus autant de pression. Les garçons et les filles peuvent jouer ensemble et se toucher sur scène. En Iran, il est interdit à un homme et une femme qui ne se connaissent pas de se toucher mais maintenant ce n’est plus interdit dans l’enceinte du théâtre, c’est génial et personne ne pourra revenir dessus facilement."

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"Maintenant, les médicaments sont disponibles dans les pharmacies". Des libertés un peu plus palpables, même si autour de nous des dizaines de policiers à moto encadrent ces rassemblements et rasent les manifestants en accélérant dès qu’ils sont trop nombreux. Ce père de famille se tient un peu à l’écart. Il est venu au rassemblement avec son fils de 4 ans qu’il porte sur les épaules parce qu’il a senti un changement dans son quotidien après l’accord nucléaire et la levée d’une partie des sanctions :

"A l’époque des sanctions, on était confronté à plusieurs problèmes et maintenant je dirais qu’on n’a pas une vie complètement meilleure mais par exemple, mon beau père avait un cancer à l’époque des sanctions. A l’époque, on devait chercher ses médicaments pendant 2 ou 3 jours. On partait littéralement à la chasse pour trouver son traitement. Mais maintenant, les médicaments sont disponibles dans les pharmacies, vous pouvez les trouver partout et le coût des soins est aussi moins élevé qu’avant l’accord sur le nucléaire".

"Tous les pays nous tournait le dos, ce n’était pas agréable". Voilà est un exemple très concret, mais il y a quelque chose qui revient de manière beaucoup plus générale chez les partisans d’Hassan Rohani, c’est cette fierté d’avoir vu l’Iran faire son retour sur la scène internationale. Il faut vraiment se rendre compte qu’une grande partie de cette jeunesse  éduquée, souvent bilingue, a les yeux tournés vers l’occident beaucoup plus que vers le Moyen-Orient. C’est frappant dans les parcs, dans la rue - on le voit à la manière dont les gens s’habillent, aux logos parfois détournés de grandes marques de téléphones ou de boissons. Pour Mariam, ce début d’ouverture au monde qui a suivi l’accord nucléaire est capital :

"On a eu des meilleures relations avec le monde, particulièrement avec l’occident. On ne veut pas être un pays isolé. Moi, je n’aimais pas les menaces de guerres qu’on recevait lorsque Monsieur Ahmadinejad était président. Israël menaçait l’Iran, les Etats-Unis répétaient que l’option militaire était sur la table donc j’avais peur. A l’époque, tous les pays, littéralement, même nos voisins, nous tournait le dos, ce n’était pas agréable. Quand Monsieur Rohani a été élu, avec les négociations sur le nucléaire, on s’est senti en sécurité, l’ombre de la guerre s’est éloignée. Pour moi, ma famille et mon entourage, c’est le premier grand changement. On s’est senti plus détendu, et puis  j’ai vu des étrangers venir dans mon pays, pour le business, comme touristes. C’est prometteur".

Prometteur, effectivement, pour une partie de la population iranienne mais, Gwendoline, le président Hassan Rohani reste très critiqué sur son bilan économique et les conservateurs l’ont beaucoup attaqué sur ce point pendant la campagne.

Oui absolument, Hassan Rohani a fait beaucoup de promesses mais clairement, les retombées de l’accord nucléaire se font attendre. Alors cet accord, il faut rappeler qu’il est entré en application il y a seulement un peu plus d’un an, mais il n’empêche pas que le taux de chômage est toujours de plus de 12% et plus de 40% chez les jeunes. Un million de personnes sont encore passés sous le seuil de pauvreté en 2016. Nous nous sommes rendu dans la plus grande mosquée de Téhéran où se tenait le dernier meeting du conservateur Ebraim Raissi. Des  milliers de personnes se sont massé à l’extérieur de l’édifice plein à craquer.

C’est là que nous avons rencontré Mohamed, ingénieur informatique originaire d’une province du nord est de l’Iran. Malgré son haut niveau d’études, impossible de trouver un emploi :

"Je n’ai pu trouver aucun emploi dans ma ville alors j’ai dû partir à Téhéran pour en chercher un, loin de ma famille de ma femme et de mes enfants. Et jusqu’à maintenant, je n’ai pas trouvé. On espère un président qui ne s’intéresse pas seulement à Téhéran mais qui répartit les ressources du pays dans d’autres villes y compris les villes les plus pauvres et qui crée de l’emploi dans ces autres villes. Rohani ne va créer de l’emploi que pour 4% de la population, ceux qui ont le plus d’argent".

"On a abandonné nos ambitions nucléaires, mais est ce qu’il y a du travail ? Non". Dans la mosquée, le candidat conservateur, turban noir et robe religieuse, promet de se concentrer sur le pouvoir d’achat des Iraniens, prône un Etat providence. Et ces mots font mouche, ils sont applaudis par ces hommes et ces femmes en tchador qui voient leurs enfants toujours au chômage, par ces adultes qui ne peuvent pas se marier faute d’avoir les moyens de louer un appartement à Téhéran où l’immobilier est hors de prix. Ici, beaucoup pensent que l’accord nucléaire est à l’avantage de l’occident : "c’était supposé être un accord gagnant-gagnant et qu’est ce qui se passe ? On a abandonné nos ambitions nucléaires, mais est ce qu’il y a du travail ? Non. Est-ce que toutes les sanctions ont été levées ? Non. Maintenant, On a besoin de quelqu’un qui se dresse face à l’Amérique".

La tentation de repli sur soi plutôt qu’une relance économique lente, une relance économique qui se heurte aussi à l’Iran lui-même, sa corruption, son administration pléthorique et son clientélisme. Voilà ce qui se joue aujourd’hui dans cet Iran fracturé qui sort de l’autarcie.