Pourquoi l'Arabie saoudite et ses alliés rompent avec le Qatar

L'Arabie saoudite a notamment décidé de fermer ses frontières avec le Qatar. Ici, le roi saoudien : Salmane ben Abdelaziz Al Saoud.
L'Arabie saoudite a notamment décidé de fermer ses frontières avec le Qatar. Ici, le roi saoudien : Salmane ben Abdelaziz Al Saoud.
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Clémence Olivier , modifié à
Deux semaines après une visite à Riyad du président des États-Unis, l'Arabie saoudite et ses alliés ont rompu lundi avec le Qatar accusé de soutenir le "terrorisme".
INTERVIEW

L'Arabie saoudite, l'Égypte, Bahreïn, le Yémen et les Émirats arabes unis ont tour à tour annoncé lundi la rupture de leurs relations diplomatiques avec le Qatar, accusé de "soutien au terrorisme", dont Al-Qaïda, le groupe État islamique (EI) et les Frères musulmans. L'Arabie saoudite a notamment décidé de fermer ses frontières avec le Qatar. Doha a réagi avec colère à cette décision annoncée à l'aube en accusant ses voisins du Golfe de vouloir le mettre "sous tutelle" et de l'étouffer économiquement. Mais quelles sont les raisons d'une telle rupture ? Et s'agit-il vraiment, comme certains médias l'affirment, d'un "séisme diplomatique" ? Myriam Benraad, maître de conférences en sciences politiques à l'université de Limerick en Irlande, auteur de l'Etat islamique pris aux mots (Editions Armand Colin) nous éclaire.

  • Pourquoi cette rupture diplomatique intervient-elle aujourd'hui ?

Ce n'est pas une crise passagère. Les tensions entre l'Arabie saoudite et le Qatar sont anciennes. Les deux pays sont des rivaux historiques sur les plans économique et politique. Ils sont également en concurrence en ce qui concerne les relations avec les pays occidentaux et, dans une moindre mesure avec la Syrie, la Russie. Depuis quelques mois, l'Arabie saoudite avait déjà amorcé la rupture en déclarant que le Qatar armait des formations qui pouvaient lui nuire (comme l'Etat islamique, Al-Qaïda, les Frères musulmans et certains segments rebelles des populations chiites au Yémen et dans les frontières du Royaume).

  • La visite de Donald Trump en Arabie saoudite, il y a quinze jours, a-t-elle joué un rôle dans cette crise ?

Oui, car le président américain a assuré le pays de son soutien. Le royaume saoudien se sent donc en position de force, beaucoup plus libre qu'il ne l'était sous l'ère Obama, en particulier vis-à-vis de l'Iran, l'un de ses adversaires dans la région. Les Saoudiens sont désormais beaucoup plus offensifs.

  • Ces pays avancent l'argument de la sécurité pour justifier la rupture, précisant que "le Qatar accueille divers groupes terroristes pour déstabiliser la région" et citent les Frères musulmans, le groupe Etat islamique et Al Qaïda. Est-ce valable ?

Il est vrai que le Qatar a toujours joué sur plusieurs tableaux pour tenter de déclasser son voisin, l'Arabie saoudite, en appuyant différentes factions armées sur différents terrains. Ainsi, il est de notoriété publique que Doha soutient les Frères musulmans. C'est d'ailleurs pour cela que l'Egypte, qui continue à faire la chasse aux membres de la confrérie sur son territoire national, a décidé elle aussi de rompre ses relations diplomatiques.

De sérieux soupçons existent par ailleurs sur l’existence de liens entre le Qatar et certaines formations djihadistes, mais il reste encore à les prouver. Dire que le Qatar finance l'Etat islamique est une provocation dans ce cas de figure, qui fait partie des justifications données par les Saoudiens pour diaboliser et ostraciser le Qatar, et par ricochet affaiblir l'Iran.

  •  Quelles peuvent être les conséquences d'une telle rupture ?

La région est aujourd'hui gravement déstabilisée. Le Yémen est en proie à la guerre civile, l'Arabie saoudite touchée par une contestation interne importante. Or, il faut s'attendre à ce que la déstabilisation soit encore plus grande. Chacun cherche à avancer ses pions. On se dirige, je le crains, vers davantage de violences encore dans cette partie du monde. Et c'est très inquiétant car cela reporte d'autant plus le règlement des conflagrations syrienne, irakienne et libyenne, directement liées à ces rivalités et déchirures régionales. La remise en cause de la coopération régionale ne peut que nuire à la reconstruction de la paix dans le temps long.