Le Venezuela en plein verrouillage autoritaire

© RONALDO SCHEMIDT / AFP
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Sébastien Krebs, édité par R.D. , modifié à
ENQUÊTE - A Caracas, le pouvoir du président Maduro s’arroge tous les pouvoirs. Les opposants sont persécutés, la presse muselée et le pouvoir concentré dans les mains de l’Assemblée constituante. 
L'ENQUÊTE DU 8H

La pression internationale s’accentue sur le Venezuela. La France presse Caracas de renouer le dialogue avec l'opposition et brandit la menace de sanctions européennes. Par ailleurs, l’ONU souhaite une enquête sur les violations des droits de l'homme, et de possibles crimes contre l'humanité dans la répression des manifestations et la persécution des opposants. Le président Nicolas Maduro a fait un geste en direction de l'opposition mercredi, mais la situation reste alarmante. Pour vérifier si le pays tourne à la dictature, Europe 1 s’est rendu sur place. Et certain témoignages sont édifiants.

"Ils m’ont menotté les bras en l’air, ils m’ont assommé… " Luis a 21 ans. Il fait des études d'ingénieur et s’était engagé avec la Résistance, pour, dit-il, offrir un avenir à ses futurs enfants. En juillet, il a été arrêté dans une manifestation, lors de heurts avec l'armée. Sa détention a duré un mois et demi, dans différentes bases militaires. Il raconte les violences, les tortures, les passages à tabac. "Ils m'ont menotté les bras en l'air, pendu à un tuyau, et avec la crosse du fusil, ils m'ont roué de coups au ventre, ils m'ont assommé, j'ai encore la cicatrice sur la tête. Je me suis évanoui, et là un garde m'a jeté du poivre au visage", décrit le jeune homme.

"Ils tabassaient aussi une ado, elle n'avait pas plus de 16 ans. Ils lui coupaient les cheveux. Ils nous retiraient nos vêtements et nous jetaient des gaz lacrymogènes", poursuit Luis, qui aujourd’hui est terrorisé et extrêmement amaigri. Sa famille, par peur de représailles, l'a rejeté. Il vit aujourd'hui dans la rue. Et cette interview, nous avons dû la réaliser en nous cachant au fond d'une église, pour échapper à la surveillance.

Police partout. Car à Caracas, la police est omniprésente. Oui, les lieux de réunions connus des opposants sont étroitement surveillés, mais pas seulement. C'est frappant, la police bolivarienne est partout, mais aussi l'armée, le renseignement, la police politique. Et puis il y a les milices, des factions milices chavistes qui ont des yeux partout. On croise aussi des groupes paramilitaires, armés, chargés de faire régner l'ordre.

Chaînes de télé et radios fermées. Et la reprise en main se joue aussi sur les ondes. Les médias publics sont totalement acquis au gouvernement, et les autres journalistes qui sont allés couvrir les manifestions ont souvent subi des agressions, y compris de la part des forces de l'ordre : confiscation du matériel, arrestations, détentions et parfois même des menaces de mort. L'ONG Espacio Publico a recensé 800 cas de violation de la liberté d'expression depuis janvier, ce qui fait de 2017 une année record.

En quelques mois, trois chaînes de télé ont été interdites d'émettre et 49 radios fermées, comme celle de Jose Domingo Blanco, connu pour sa liberté de ton. "L'émission faisait une belle audience, et devenait très critique. Ça les gênait", explique celui qui présentait une matinale. "Alors une commission est venue, là où il y a l'antenne de la station. Et ils nous ont annoncé que la radio cessait immédiatement d'émettre. Ça, c'est le fonctionnement d'une dictature", assène l’homme. Et aujourd'hui, à la place des débats d'idées, il y a... de la musique traditionnelle vénézuélienne.

Une Constituante toute puissante. Le régime de Maduro, désormais, concentre tous les pouvoirs. L'Assemblée constituante lui est acquise et elle s’est même arrogée toutes les prérogatives législatives. De fait, l'Assemblée nationale, que l'opposition contrôlait, a été destituée. Son président, pour venir rencontrer des chefs d'Etat européens la semaine dernière, a dû quitter le pays clandestinement, pour éviter d'être arrêté à l'aéroport.

La militante des droits de l'homme Lilian Tintori, qui devait l'accompagner, n’a pas eu la même chance. "Ils m'ont dit que je ne pouvais pas quitter le pays. J'ai demandé "pourquoi?" - "Parce que cela vous est interdit. Ils ont confisqué mon passeport et ne me l'ont toujours pas rendu", raconte l’opposante. "Quand on voit que le président et le vice-président de l'Assemblée nationale, qui ont autorité, et qui ont été élus, ne peuvent plus voyager librement avec leur passeport, c'est bien que ce pays a un problème".

Aujourd'hui, ces deux opposants risquent des poursuites pénales pour "trahison". L'ONG Foro Penal recense 566 prisonniers politiques à travers le pays.