Tunisie : du «Titanic» au «Radeau de la méduse»

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Vincent Hervouet , modifié à
Le Président Tunisien prolonge d’un an la suspension du parlement à majorité islamiste, actée le 25 juillet dernier. Il annonce un référendum à l’été prochain. La situation économique de la Tunisie est au plus mal, les bailleurs de fond s'impatientent et la gronde social s'intensifie. Dans son édito international, Vincent Hervouet revient sur la décision du président tunisien et analyse le dessein politique de sa pensée. 
EDITO

La Tunisie ressemble au Titanic. Mais dans sa cabine, le commandant de bord réécrit le règlement intérieur. Cet été, Kaïs Saied (président tunisien) a pris les pleins pouvoirs pour "sauver le pays d’un péril imminent". Les Tunisiens sont descendus dans la rue pour l’applaudir. Après dix ans de palabres, ils n’en peuvent plus des manigances des islamistes d’Ennahdha (parti islamiste). La levée de l’immunité parlementaire a été une des consolations d’un été sans touristes.

Une économie en berne

Surtout, ils (les tunisiens) n’en peuvent plus du marasme général, de la croissance en berne, de l’inflation à 6%, du chômage à 18%, du déficit qui se creuse, de la pauvreté qui s’étend. Une crise politique, économique, sociale qui a mis le pays à l’arrêt. Le Covid qui le met à genoux. Des milliers de PME sont sur le point de déposer le bilan. Les fonctionnaires redoutent de ne plus toucher leur traitement. Dans l’intérieur du pays, les manifestations tournent à l’émeute. Les syndicats sont débordés, les partis politiques discrédités. Et le gouvernement dans la nasse appelle au secours le FMI pour un nouveau programme d’aide, le 4e en dix ans.

Il lui faut 4 milliards d’ici la fin de l’année. Pendant ce temps, le Président qui a pris tous les pouvoirs et qui ne connait visiblement rien à l’économie se concentre sur son projet. Seul dans son palais, Robocop (surnom donné au président tunisien) imagine une nouvelle constitution… Les ambassadeurs des pays du G7 et ceux de l’Union européenne ont appelé vendredi à un retour rapide aux institutions démocratiques. Les bailleurs de fonds s’impatientent. Kais Saied a épuisé son crédit.

Une réforme institutionnelle incertaine 

Ce calendrier de réformes institutionnelles, c’est sa réponse. Il voulait le dévoiler vendredi prochain. Parce qu’il y a dix ans pile, tout a commencé ce jour là avec le suicide sacrificiel d’un jeune marchand ambulant, Mohamed Bouazizi. Le Président veut en faire l’anniversaire de la révolution, à la place du 14 janvier, le jour où s’est enfui Ben Ali. Selon lui, fêter la chute du tyran n’est pas approprié car la révolution est toujours en marche… Il dit "malheureusement, la révolution a été détournée pour exclure le peuple". C’est un air connu. Il ajoute qu’il faut maintenant réaliser "l’accomplissement de l’explosion révolutionnaire". Ce sera sa grande œuvre.

Saied fait-il du Kadhafi ?

Ce genre d’arabesques rappelle pour ceux qui l’ont connu le colonel Kadhafi. Je l’ai interviewé, c’était sa dernière télé. Le regard fixe comme Kaies Saied, il assénait le même genre de sentences, sur le même ton : on comprend vaguement mais on reste très loin du réel. Pour Kadhafi, le réel s’est vite imposé, une formidable armada se regroupait au large. Pour Kaies Saed, c’est l’explosion sociale qui menace. 

Il propose de réunir à partir de janvier des consultations populaires pour discuter d’amendements constitutionnels et électoraux, et d'un référendum à l’été. Cela aussi rappelle la "Jamahiriya" libyenne, l’état des masses. Kadhafi était fier de ses comités populaires, cette démocratie directe tellement supérieure au bête système libéral de la démocratie parlementaire. Le comité populaire, c’est l’idée fixe du conseiller du président tunisien, un intellectuel toujours marxiste.

Pendant un an de plus, Kaies Saied veut continuer à gouverner par décret. Comme il a pris aussi le pouvoir judiciaire, il continuera de traquer les voleurs, les riches, les corrompus comme il le fait déjà à 500 hommes d’affaires accusés de détournements de fonds sous Ben Ali. A bord du Titanic, le capitaine maintient le cap. Il a mis l’équipage à fond de cale mais veut bien consulter les passagers pour obtenir un plébiscite. Tout cela risque de se terminer comme "Le Radeau de la méduse".