Comment l'avocat Junichiro Hironaka a convaincu la justice japonaise de libérer Carlos Ghosn
Le nouvel avocat de l'ex-PDG de Nissan est parvenu à convaincre le tribunal d'accepter sa demande de remise en liberté, là où son prédécesseur avait échoué à deux reprises.
Les Français ont "acquittator" - le surnom du pénaliste Eric Dupond-Moretti -, les Japonais, "l'innocenteur" ? À Tokyo, tel est l'un des surnoms de Junichiro Hironaka, le nouvel avocat de Carlos Ghosn, inculpé pour fraude fiscale et abus de confiance . Incarcéré depuis plus de trois mois, l'ex-PDG des constructeurs automobiles Nissan et Renault a obtenu sa mise en liberté sous caution, mardi , après deux tentatives non fructueuses. Le fond du dossier n'a pas changé, mais l'homme d'affaires franco-libano-brésilien a pris une décision qui semble avoir joué en sa faveur à la mi-février : celle de changer son équipe de défense.
Un "rasoir" aux arguments affûtés. Parmi les nouveaux conseils de l'industriel, il faut donc compter sur Junichiro Hironaka, 73 ans, parfois aussi appelé "le rasoir" en raison de la précision de ses argumentaires. Célèbre pour avoir "gagné" quelques dossiers médiatiques dans un pays où le taux de condamnation avoisine les 100%, l'avocat fait figure de vétéran de la défense. Lors de la première conférence de presse sur l'affaire Ghosn, mi-février, il s'est d'ailleurs présenté aux côtés de deux de ses anciens clients acquittés, raconte Le Figaro . L'homme politique Ichiro Ozawa, accusé de détournement de fonds publics au début des années 2010, mais surtout la haute fonctionnaire Atsuko Muraki, contre laquelle l'accusation avait fabriqué des preuves. "Comme pour Atsuko Muraki, j'ai acquis à notre première rencontre la conviction que Carlos Ghosn est innocent", a posé l'avocat devant les médias.
"L'innocenteur" posait ainsi les bases d'une nouvelle ligne de défense, consistant à faire du cas Ghosn un exemple des défaillances présumées de la justice japonaise. "Les procureurs le gardent en détention parce qu'il n'avoue pas", expliquait-il encore aux journalistes. "Je voudrais que les gens se demandent si c'est approprié du point de vue des normes internationales. (...) Cette affaire était devenue internationale, je pense que c'est l'occasion d'amender le système." Et d'évoquer "la peur" suscitée par cette affaire dans "les milieux économiques" : "si les hommes d'affaires viennent au Japon, ils pourraient se retrouver dans la même situation intenable, jetés en prison par un procureur."
Un revirement de stratégie de défense. Jusque-là, Carlos Ghosn avait confié sa défense à Motonari Otsuru, un avocat au profil radicalement différent, ancien procureur parfaitement au fait des arcanes de l'unité spéciale d'enquête en charge des investigations. Mais cette expertise s'était avérée vaine : à l'exception d'un refus de prolongation d'une deuxième garde à vue, le conseil n'a rien obtenu pour son client, inculpé à trois reprises. Lors de son unique conférence de presse, le 8 janvier, il avait laissé les médias pantois en affirmant, sans sembler s'en émouvoir, que son client risquait des mois de prison avant son procès s'il persistait à nier l'abus de confiance dont il est accusé.
Quelques semaines plus tard, Junichiro Hironaka a, lui, su trouver les bons arguments pour démonter l'accusation. Invoquant l'absence de risque d'altération de preuves, le conseil a présenté un plan proposant que son client soit surveillé par des caméras, avec des moyens limités de communiquer avec l'extérieur. "Ces propositions concrètes ont sans doute fait la différence, il est sûr qu'elles ont été plus convaincantes", a commenté auprès de l'AFP Yasuyuki Takai, avocat et ex-membre de l'unité spéciale d'enquête qui a arrêté l'homme d'affaires. La décision rendue en première instance impose finalement à Carlos Ghosn de ne pas quitter le Japon, même pour un court séjour. L'ex-PDG préparera donc son procès libre, au côté de Junichiro Hironaka. Selon ce dernier, il pourrait avoir lieu dès l'automne.