«Je vis chaque conversation comme si c’était la dernière» : l'inquiétude des Ukrainiens en France

Eglise Ukraine Paris 1:42
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Marion Gauthier, édité par Solène Leroux , modifié à
Suspendus aux nouvelles de leur pays d’origine, les Ukrainiens expatriés en France s’inquiètent et se mobilisent, alors que la Russie a lancé les hostilités envers l'Ukraine dans la nuit. L’ONU a désigné Moscou comme "seul agresseur" et responsable du conflit ravivé ces derniers jours aux portes de l’Europe.

Le monde fait face à "un moment de péril", a déclaré hier le secrétaire général de l’ONU, António Guterres. Difficile de suivre les événements à distance pour la diaspora ukrainienne, qui se rassemble et tente d’aider comme elle peut les proches menacés. Chaque soir, à 21 heures, ils sont invités à prier chez eux. À la cathédrale Saint-Volodymyr-le-Grand, en plein cœur de Paris, ils se réunissent pour assister aussi à la messe. Un grand portique en bois peint s’ouvre sur l’autel. Sur le côté, les portraits des "100 célestes", ceux tués en 2014 à Maïdan, la place de l’indépendance à Kiev, lors des manifestations pro-européennes qui ont précédé la guerre avec les séparatistes pro-russes.

Dans l’odeur d’encens, une dizaine de fidèles, l’air grave ou désemparé. "Ça fait peur", gémit Natalia, qui étouffe un sanglot. "Ce n’est pas possible !", répète-t-elle. "Beaucoup de Russes vivent en Ukraine, beaucoup d’Ukrainiens vivent en Russie : se tuer entre frères, ce n’est pas possible !" La sexagénaire est venue ici calmer son inquiétude ; elle aide en envoyant de l’argent en Ukraine, où sa famille vit toujours. "C’est surtout pour les soldats", dit-elle. "Ça me fait mal au cœur. Il faut donner, il faut prier, il faut tout faire."

Être les "promoteurs de la vérité historique"

"Que Dieu veille sur tous les soldats, sur ceux qui ont subi les conséquences de la guerre" : ces prières de supplications sont récitées à chaque célébration, depuis huit ans que les combats déchirent l’Est, explique Oleksandr Bilyk, le séminariste. Loin de sa famille, le sentiment d’impuissance le taraude.

"Je vis chaque conversation comme si c’était la dernière", confesse-t-il, "parce que je ne sais pas ce qu’il va advenir demain." Le jeune homme, arrivé à Paris pour étudier le droit canonique il y a quatre ans, réfléchit à haute voix : "Ce qu’on peut faire, nous, Ukrainiens de la diaspora, c’est déjà être des promoteurs de la vérité historique. Il y a une guerre d’information et si on la perd, la guerre au sens premier du terme sera beaucoup plus difficile à gagner." Il pense aux réservistes mobilisés, aux soldats déjà tombés : "Nous devons garder espoir, pour que leur sacrifice ne soit pas vain."

"Que l’espoir et la prière"

Justement, Ivana s’inquiète pour son frère qui part combattre ; il devait venir en France, mais souhaite rester en Ukraine. "C’est un patriote !", lance Ivana, avec un sourire amer. "Tous les jours, je me lève en me demandant ce qu’il se passe", embraye-t-elle, "je me couche en espérant que la situation se calme. J’ai mal au cœur, tous les jours". Pour la jeune fille au pair, "il n’y a que l’espoir et la prière".

L’Église doit organiser un soutien psychologique pour ses paroissiens éprouvés, parfois isolés, tiraillés sur l’aide à apporter. "De plus en plus de fidèles commencent à avoir des difficultés psychologiques, à faire des dépressions", souligne le recteur de la cathédrale, Ihor Rantsya. Le service pastoral doit se réunir "pour se préparer à réagir", précise-t-il, et pour coordonner les dons (médicaments, vêtements, argent) en cas de crise humanitaire, de l’autre côté de l’Europe.