Des solutions solidaires face au désert castillan : "Moi je vis seul …"

La camionnette de l’Exclusiva sillonne les routes cinq jours sur sept.
La camionnette de l’Exclusiva sillonne les routes cinq jours sur sept. © Henry de Laguérie
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Henry de Laguérie, correspondant en Espagne, édité par B.B , modifié à
C'est un sujet qui s'est invité à la une des médias espagnols ces derniers mois : une partie de de la péninsule ibérique se dépeuple complètement.
REPORTAGE

Un immense territoire, qui s’étend sur cinq régions entre Madrid et Barcelone, est en voie de désertification, avec une densité d’habitants comparable à celle de la Laponie ou de la Sibérie. Cela fait de l’Espagne un pays étrange en Europe : aucun état de l’Union n’a pareil désert démographique. Et forcément, cette désertification s’accompagne d’une disparition des services publics et des commerces.

Face à cette situation, la résistance s’organise et les habitants cherchent des solutions. Un village de l’arrière-pays de Valence a par exemple misé sur… les graffitis. Un jeune couple a aussi créé une coopérative qui couvre les besoins vitaux des rares habitants, souvent des personnes âgées, bien loin de tout commerce. Europe 1 a accompagné la tournée d’Hugo, dans la région de Soria, en Castille

"Aujourd’hui, je vais passer par une vingtaine de village". 11h du matin. Hugo est en retard. Il a perdu une demi-heure en allant chercher un ventilateur qu’il doit livrer à l’un de ses grands pères. C’est  comme ça qu’il appelle affectueusement ces personnes âgées qui vivent dans des villages reculés de la Castille et qu’il approvisionne quotidiennement.

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L’homme d’une quarantaine d’année commence une longue journée à bord de sa camionnette : "aujourd’hui, je vais passer par une vingtaine de village. Ça représente un peu plus de plus de 200 kilomètres. Certains jours, c’est plus, d’autres moins. Ici, on est dans une région dépeuplée où le nombre d’habitant au kilomètre carré ressemble à celui de la Laponie".

La route est magnifique, le paysage, grandiose, ressemble parfois à des décors de western américain, avec ses hauts plateaux, son absence de végétation et un thermomètre qui dépasse les 35 degrés (voir photo ci-dessus). Dans cette immense région, grande comme deux fois la Belgique, il n’y a que sept habitants au kilomètre carré. C’est un véritable désert démographique unique en Europe, la faute à l’exode rural. On aperçoit d’ailleurs plusieurs villages en ruine.

"Ici, dans les villages, les portes sont toujours ouvertes". Après de longues minutes sans croiser le moindre véhicule, on arrive chez Toño, un agriculteur de 65 ans (voir photo ci-dessous). Avant d’ouvrir le portail, l’homme en bleu de travail attache son âne et ses deux chiens. Il a commandé un peu de viande et des légumes. Hugo passe chez lui une fois par semaine : "au début, je l’appelais par téléphone, maintenant, je lui envoie un message par WhatsApp. Si je sais que je ne suis pas là quand il vient, je le préviens, et il sait qu’il trouvera la porte ouverte. Ici, dans les villages, les portes sont toujours ouvertes. Il met les produits frais et le reste sur la table. Et je le trouve quand j’arrive !"

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Hugo et son épouse Victoria ont près de 700 clients dans une région où les services publics (transports, école, poste)  et les commerces ont quasiment tous disparus. La camionnette de l’Exclusiva sillonne les routes cinq jours sur sept. A son bord, de l’alimentation, des objets du quotidien, mais pas seulement : "peu importe l’heure à laquelle tu arrives, les gens sont là et t’attendent dans le village. Parfois, ils ne commandent rien, mais ils te demandent quand même de passer, afin de parler un peu. Dans certains villages, il n’y a rien. Alors si je viens une dizaine de minutes, ça leur fait dix minutes de conversation. C’est déjà ça".

Les supermarchés de Soria, la seule grande ville de la région, ont tout de suite joué le jeu : ils prennent en charge le coût du transport en reversant un pourcentage des ventes au  couple. Les clients payent le même prix que s’ils se rendaient au supermarché.

Avec son mari Hugo, Victoria a fait de la lutte contre la désertification le combat de sa vie : "la province de Soria perd quatre habitants par jour ! On a donc cherché un moyen pour que les gens restent. Et on a commencé avec de l’alimentation. Mais un an plus tard, on s’est rendu compte que l’alimentation ne fixait pas une population. A partir de là, on a proposé des services : pressing, traiteur, meubles, électroménager, jardin, journaux, loterie, bref tout ce qu’ils pouvaient nous demander. Avec à chaque fois pour objectif d’éviter que les gens s’en aillent faute de pouvoir subvenir à leur premières nécessités".

"Moi je vis seul, donc pour moi c’est très pratique ce service". Retour sur la route avec Hugo. On s’arrête dans un village d’une vingtaine de maisons, perdu au fond d’une vallée.  Cette semaine, Juan, un célibataire d’une cinquantaine d’années, se fait livrer deux bouteilles d’huile d’olive et un magazine : "aller jusqu’à Soria chaque semaine, c’est très compliqué. Ça prend 1h15 en bus pour faire les 47 kilomètres. Moi je vis seul, donc pour moi c’est très pratique ce service. Et puis ce sont des bons produits, le rapport qualité/prix est très raisonnable et puis ce sont des gens formidables".

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Des gens formidables confrontés parfois à des situations dramatiques. Victoria (en photo ci-dessus) a les larmes aux yeux lorsqu’elle évoque le souvenir de Nieves : "un jour, on est allé livrer des courses. On a trouvé Nieves : elle était tombée dans les escaliers et elle était morte. Personne ne s’en était rendu compte. C’est très dur, surtout que c’est moi qui ai dû appeler les enfants et les urgences. Tu te rends compte qu’ils sont très seuls, qu’il y a plein d’obstacles et de dangers chez eux. C’est après ce jour-là qu’on a mis en place le service de réhabilitation des maisons et qu’on a remplacé les baignoires par des douches".

Plusieurs entreprises solidaires en Europe cherchent à s’en inspirer. Dans la Sibérie espagnole,  les plus anciens sont donc équipés en douche. Il y a moins d’accidents domestiques. Sans Victoria et Hugo, beaucoup d’entre eux seraient partis. Le travail de l’Exclusiva porte ses fruits, si bien que plusieurs entreprises solidaires en Europe cherchent à s’en inspirer. Le couple n’a qu’un seul regret, il ne reçoit aucune aide des pouvoirs publics. Comme si l’administration avait honte de laisser à l’abandon une partie de ses territoires.