Arménie : crise politique, manifestations, que se passe-t-il dans le pays ?

Les manifestations se multiplient en Arménie depuis le 13 avril.
Les manifestations se multiplient en Arménie depuis le 13 avril. © VANO SHLAMOV / AFP
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Antoine Terrel avec AFP , modifié à
Après le rejet de sa candidature par le Parlement, Nikol Machanian a appelé ses partisans à la "désobéissance civile". Mais il n'est pas sûr de pouvoir se représenter. 

Les rêves de changement des manifestants mobilisés depuis près d'un mois en Arménie vont-ils aboutir ? Alors que le pays est secoué par une crise politique historique, le rejet par le Parlement de la candidature au poste de Premier ministre de Nikol Pachinian a achevé d'approfondir le conflit, alors que l'opposant a appelé ses partisans à "la désobéissance civile". Le Parlement a annoncé mercredi qu'il procéderait à un nouveau vote le 8 mai prochain, au risque, en cas de nouvel échec, d'être dissous. Europe 1 fait le point sur la situation. 

Près d'un mois de crise politique  

La crise dure depuis le 13 avril. Des manifestations rassemblant à chaque fois plusieurs dizaines de milliers de personnes ont entraîné le 23 le départ de Serge Sarkissian, qui venait d'être élu Premier ministre six jours plus tôt. Les opposants l'accusaient de vouloir conserver le pouvoir à tout prix. En effet, Sarkissian, qui avait dirigé le pays en tant que président de la République pendant deux mandats de 2008 à 2018, s'était fait élire le 17 au poste de Premier ministre, non sans avoir fait voter en 2015 une révision constitutionnelle controversée donnant l'essentiel des pouvoirs au chef du gouvernement.

La crise s'était également aggravée avec l'interpellation de trois députés d'opposition, dont Nikol Pachinian. Les trois étaient accusés d'avoir "violé de manière répétitive et grossière la loi sur les manifestations". 

Mais la contestation populaire ne s'est pas formée que sur le rejet de la personne de Serge Sarkissian. "La transition du pays vers l'économie de marché s'est traduite par une flambée du chômage et de la pauvreté. Et le peuple estime avoir fait suffisamment d'efforts", explique Vahé Ter Minassian, journaliste et auteur d'Arménie, chronique de la 3ème République, à 20 minutes. "Il veut que la situation change. Il ne supporte plus la corruption qui est endémique." De fait, la pauvreté et la corruption n'ont pas reculé en Arménie, tandis que le pays, qui compte 2,9 millions d'habitants, voit son économie toujours contrôlée par une poignée d'oligarques. 

Qui est Nikol Pachinian et que propose-t-il ? 

Ancien journaliste de 42 ans, Nikol Pachanian s'est imposé en quelques semaines comme le leader du mouvement de contestation. En 2008, alors meneur de manifestations contre la victoire à la présidentielle de Sarkissian, il avait dû passer dans la clandestinité pendant plusieurs mois après la mort de dix personnes pendant les défilés. Après s'être rendu à la police en 2009, il avait été condamné en 2010 à sept ans de prison, avant d'être amnistié en 2011.

Aujourd'hui, son programme demeure assez vague. "Il va vouloir se débarrasser de ceux qui trustent les commerces et les grosses administrations", explique Laurent Leylekian, de l'Observatoire Arménie, à 20 minutes. "Nikol Pachinian avait dit qu'il tiendrait ses engagements de partenariat avec l'Union européenne. On peut imaginer que ses relations seront plus délicates avec ses voisins, la Turquie et l’Azerbaïdjan, qui vouent une hostilité certaine à l'Arménie", ajoute Vahé Ter Minassian. 

Pourquoi la candidature de Pachinian a-t-elle été refusée ? 

L'emblématique opposant à l'ancien président Serge Sarkissian avait senti le vent tourner. Et quelques heures avant son passage devant le Parlement réuni en session extraordinaire, il avait prévenu ses partisans, promettant "un tsunami politique" s'il n'était pas élu. 

Car, alors que la rue est derrière lui, la configuration politique n'est pas en faveur de Pachinian. Sur 100 députés ayant voté mercredi, 55 ont voté contre sa candidature, 45 pour. La victoire de Pachinian était dores et déjà compromise après que le Parti républicain au pouvoir avait prévenu que ses députés, au nombre de 58 sur 105, se prononceraient contre lui. Soutenu par trois formations, mais qui ne représentaient que 47 votes, il devait donc compter sur de potentiels transfuges du Parti républicain, qui ne sont jamais venus. Pachinian a également subi deux défections au sein des trois groupes parlementaires qui lui avaient assuré leur soutien. 

Durant sept heures, au cours desquelles se sont enchaînés débats et discours, les membres du parti au pouvoir ont notamment fustigé le programme politique du leader de la contestation populaire. "Monsieur Pachinian, je ne vous vois pas au poste de Premier ministre, je ne vous vois pas comme commandant en chef", avait notamment prévenu Edouard Charmazanov, le vice-président du Parlement et porte-parole du Parti républicain, avant d'ajouter : "Nous devons choisir une personne qui n'est pas imprévisible (…) On ne peut pas être un peu socialiste et un peu libéral." L'atmosphère était "hostile et la haine palpable à l'égard de Pachinian", a raconté notamment une journaliste du Monde, qui a précisé que la plupart des 26 députés qui s'étaient inscrits pour poser des questions étaient "odieux, méprisants, et pompeux". 

Que va-t-il se passer ? 

Dès son échec confirmé, Nikol Pachinian a appelé ses partisans à la "désobéissance civile", et notamment au blocage des routes, des trains, et des aéroports. Résultat, mercredi, des milliers de manifestants paralysent la capitale Erevan. Presque toutes les rues de la ville, dont la voie d'accès à l'aéroport, sont bloquées et de nombreux magasins sont fermés. 

Politiquement, les choses sont plus complexes. Comme l'explique Vahé Ter Minassian sur Twitter, la constitution arménienne prévoit qu'un nouveau vote doit être organisé dans un délai d'une semaine. Le Parlement a d'ailleurs annoncé mercredi qu'il procéderait à un nouveau vote le 8 mai prochain. 

Mais une seconde candidature de Pachinian est loin d'être assurée. Alors que sa première n'avait été présentée que par une fraction composée de neuf députés, "la loi prévoit que pour le second scrutin, les candidats soient soutenus par un tiers des députés, soit près de 25", explique le journaliste.

Si ce second tour ne permet pas d'élire un Premier ministre, la Constitution prévoit une dissolution de l'Assemblée, et des élections législatives anticipées dans un délai de 30 à 45 jours.