Au Yémen, la "guerre oubliée"

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De nouvelles négociations, qui ont finalement été retardées, devaient avoir lieu lundi au Yémen pour tenter de sortir d’un conflit bien peu médiatisé. 
INTERVIEW

C’est un conflit, de l’ombre, trop souvent oublié par la communauté internationale et les médias. Au Yémen, une guerre civile oppose depuis plus d’un an les rebelles Houthis au président Abd Rabbu Mansour Hadi. Ce dernier a succédé en 2011 à Ali Abdallah Saleh, au pouvoir pendant plus de trente ans, et qui est désormais allié aux rebelles. Ce lundi, de nouvelles négociations devaient se tenir au Koweït sous l’égide de l’ONU. Elles ont finalement été retardées car les représentants des rebelles n'ont pas répondu présent. Mais l’espoir demeure d’une solution politique au conflit.

Franck Mermier, ancien directeur du Centre français d’études yéménites et chercheur au CNRS, revient pour Europe 1 sur la situation de ce pays situé au bout de la péninsule arabique.

  • A quoi ressemblait le Yémen avant la guerre ?

A un pays fragmenté. Depuis l’unité des deux Yémen en 1990, on a une forte opposition dans les provinces du Sud, à tendance séparatiste. Entre 2004 et 2010, il y a aussi eu six guerres dans le Nord, dans la région de Saada, qui ont mis aux prises les rebelles Houthis, au pouvoir depuis septembre 2014, à l’armée yéménite du président Saleh, qui est aujourd’hui leur allié ! Plus généralement, c’était  le pays le plus pauvre de la péninsule arabique, avec une jeunesse inemployée et des ressources économiques faibles. Et puis, les groupes djihadistes ont aussi prospéré avec la création en janvier 2009, d’AQPA, Al-Qaida dans la péninsule arabique.

  • Quelle est la situation aujourd'hui ?

D’après les dernières informations, la délégation des rebelles Houthis et de l’ex-président Saleh n’est pas arrivée au Koweit, peut-être arrivera-t-elle mardi. Si elle n’est pas venue, c’est sans doute qu’elle n’est pas totalement d’accord avec le programme des négociations. Rappelons qu’en avril 2015, l’ONU a voté la résolution 2216 qui stipule le retour au pouvoir des autorités légitimes et le retrait des armes lourdes. Ce type de conditions est donc difficile à accepter pour les rebelles.

  • On a souvent baptisé ce conflit "la guerre oubliée", est-ce vrai ?

Effectivement, c’est une guerre oubliée, dans le sens où elle prend beaucoup moins de place dans les médias que la Syrie ou la Libye. Plusieurs causes à cela : l’isolement du Yémen qui est perçu comme un Etat périphérique, mal connu. Il y a aussi le fait que la presse internationale n’ait pas accès au terrain, qu’il y ait peu d’images du fait de l’insécurité qui règne dans le pays avec par ailleurs, la présence d’Al Qaida et le groupe Etat islamique. Enfin, il ne faut pas oublier que ce conflit voit s’opposer par alliés interposés l’Arabie Saoudite et l’Iran. Le premier en menant une coalition arabe contre les rebelles Houthis tandis que le second est lui accusé de soutenir les rebelles. Et ce conflit est considéré comme une affaire intérieure par l’Arabie Saoudite.

  • Avec ce chaos, peut-on imaginer que Daech crée un nouveau sanctuaire djihadiste, comme cela s’est passé en Libye ?

L’organisation Etat islamique n’a pas de base territoriale au Yémen, elle manifeste surtout sa présence par des attentats. Mais, c’est surtout AQPA qui a profité du chaos pour s’emparer du sud libyen, notamment dans la région de Moukalla. Mais constituer un sanctuaire sera autre chose car il y a des difficultés d’accès du fait du blocus (naval et aérien imposé par la coalition arabe, ndlr). En revanche, le chaos intérieur permet la prolifération de groupes djihadistes locaux qui sont d’ailleurs parfois de simples brigands.

  • Etes-vous optimiste pour la résolution du conflit ?

Toutes les infrastructures du Yémen sont par terre. On a une catastrophe humanitaire (plus de 30.000 blessés, 2,8 millions de déplacés) qui nécessiterait une mobilisation de la communauté internationale. La solution politique doit arriver vite. Pour cela, il faudrait une inclusion des rebelles dans le jeu politique. Ces derniers devraient renoncer à leur ambition de conquête et en échange, ils feraient partie d’un gouvernement d’union nationale. C’est encore un peu prématuré parce que même si les rebelles y consentent, le camp loyaliste et l’Arabie Saoudite veulent, eux, se débarrasser de l’ex-président Saleh dont le pouvoir de nuisance est encore très grand.