Le vivarium d'Edgardo Griffith se trouve dans la vallée d’Antón, au centre du Panama. 7:35
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Laurence Cuvillier, édité par Jonathan Grelier
Au Panama, le biologiste Edgardo Griffith et sa femme, Heidi, ont créé un vivarium sans aucun soutien du gouvernement de ce pays pour tenter de sauver neuf espèces de grenouilles en danger immédiat d'extinction. Europe 1 s'est rendu dans ce coffre-fort biologique où l'extinction des espèces prend tout son sens.
REPORTAGE

Au Panama, en Amérique centrale, Edgardo Griffith effectue des relevés dans l’un des ruisseaux qui traversent la vallée d’Antón, dans le centre du pays. Armé d'un simple bâton, l'homme aux yeux perçants cherche des batraciens. "Regardez, c’est une 'grenouille de verre', ou 'grenouille de cristal'. Une toute petite grenouille arboricole et presque transparente", décrit-il au micro d'Europe 1. Cette grenouille, perchée sur un déchet plastique, sera la seule qu'il trouvera de la journée.

"90% des espèces de batraciens ont déjà disparu"

C’est toujours avec amertume que le biologiste constate que les forêts panaméennes se sont vidées de leurs amphibiens. "Ici, 90% des espèces de batraciens ont déjà disparu. Les 10% des espèces restantes ont perdu entre 70 et 80% de leur population", explique-t-il. Depuis le début des années 2000, une épidémie silencieuse décime ces espèces. Elle est provoquée par le Batrachochytrium Dendrobatidis, le nom scientifique d'un champignon qui ravage les populations d’amphibiens dans le monde entier et dont les effets sont particulièrement terribles sur le continent américain.

La Chytridiomycose, la maladie provoquée par ce champignon, attaque la peau des animaux jusqu'à les dessécher et les tuer. Les scientifiques pensent que cette maladie est latente depuis des siècles mais la dégradation de l’habitat naturel par l'Homme, la pollution des cours d'eau et les sécheresses dues au changement climatique auraient fait exploser ses effets ces dernières années.

Le mot "extinction" prend ici tout son sens

Sans aucun soutien du gouvernement panaméen et avec leurs faibles moyens, le spécialiste de la reproduction des batraciens et sa femme, Heidi, ont donc créé en 2006 une sorte de bunker, un vivarium, dans la vallée de Antón, pour mettre à l'abri quelques-uns des derniers individus de neuf espèces en danger immédiat d'extinction. Dans ces conteneurs posés sur un terrain prêté par un hôtel, le couple veille sur environ 200 individus, dont la grenouille dorée. Celle-ci était à l'époque tellement courante qu’elle était devenue l’emblème national du Panama.

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Edgardo Griffith dans son vivarium. Crédit photo : Laurence Cuvillier/Europe 1

"C’est une espèce très charismatique avec une beauté naturelle et ce jaune si intense", s'émerveille le biologiste. Mais "on ne l’a pas observée dans son habitat naturel depuis 2009", regrette-t-il. "Déjà en 2005, on avait commencé à retrouver ces grenouilles mortes, malades ou moribondes, par centaines, dans les ruisseaux. Toutes celles qu’on analysait étaient infectées au Batrachochytrium Dendrobatidis." En parallèle, les promeneurs du dimanche peu avertis ont commencé à emporter avec eux les quelques grenouilles qui survivaient, anéantissant les possibilités de reproduction.

Edgardo Griffith prend délicatement dans ses mains l’un des derniers représentants de l’espèce Hemiphractus Elioti. "Elle, par exemple, est née ici en 2012", raconte-t-il. "Ceux-là, ce sont des frères. En fait, c’est impossible de ne pas tisser des liens affectifs avec eux." Dans le vivarium, il ne reste que trois Hemiphractus Elioti. Toutes sont des femelles. Aucune reproduction n'est donc possible et l'espèce n'a pas été observée dans son habitat naturel depuis des années. Dans ce cas, le mot "extinction" prend tout son sens.

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Dans son vivarium, Edgardo Griffith préserve neuf espèces en danger immédiat d'extinction. Crédit photo : Laurence Cuvillier/Europe 1

"Nous sommes des ratés en tant qu’administrateurs de cette planète"

D’autres espèces, comme la magnifique Anotheca Spinosa - d’un beige argenté émaillé de taches noires - répondent bien au programme de reproduction. Deux petits de cette espèce sont nés en septembre 2020. Mais pour le moment, impossible de relâcher toutes ces petites grenouilles dans leur habitat naturel, car le champignon sévit toujours. "Je pense que ces animaux sont tout à fait capables de s’adapter un jour à cette mycose", estime Edgardo Griffith. "Mais à cause de la dégradation de l’environnement, la perte de leur habitat et la mauvaise qualité de l’eau qu’on leur laisse, cela va compliquer les choses."

Pour lui, le besoin de recourir à un vivarium est dans tous les cas une mauvaise nouvelles pour ces espèces qui vivaient depuis 300 millions d’années en milieu naturel et n’ont désormais plus d’autre option que de survivre dans un habitat artificiel. "Pour nous, cet endroit représente l’espoir. Il représente une tentative de faire pencher la balance du côté opposé à l’extinction. Mais il représente aussi beaucoup de douleur et de déception, parce qu’il montre que nous sommes vraiment des ratés en tant qu’administrateurs de cette planète."