Ukraine : "les Russes sont un peu coincés"

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Thomas Sotto et , modifié à
INTERVIEW - Le journaliste Dimitri de Kochko livre le point de vue de La Russie d'aujourd'hui, un média francophone détenu par un journal russe.

L'INFO. Entre la Russie et les pays européens, les points de vue divergent sur la crise ukrainienne, et notamment sur la péninsule de Crimée, où des soldats russes ont été déployés. Des différences d’interprétation qu’a confirmées Dimitri de Kochko, journaliste à La Russie d’Aujourd’hui, invité lundi matin d’Europe 1. L’occasion de découvrir comment est perçue la situation côté russe, d’autant plus que ce journal, dont la maison-mère est détenue à 100% par le gouvernement russe, "donne de l’information sur la Russie qui n’est pas donnée ailleurs", selon les mots du journaliste.

Sommes-nous manipulés ? Est-ce que l’Europe et les Etats-Unis tirent les ficelles ukrainiennes exactement comme on le reproche à Vladimir Poutine ?

"C'est l'impression qu'on peut avoir ! Voyez les foules en Crimée qui réclament la présence russe, acclament les soldats, disent qu'ils en ont marre d'être des cadeaux de Khrouchtchev (l’ancien dirigeant soviétique a cédé la Crimée à l’Ukraine à la chute de l’URSS, ndlr.). Je ne pense pas que les Russes tirent les ficelles : je pense même qu'ils sont un peu coincés, que Poutine, d'un certain point de vue, ne peut pas ne pas répondre à l'appel des Russes de Crimée ! Car la grande majorité sont des Russes.

Poutine ne peut pas refuser : il passerait pour une lavette devant son opinion publique. Un pouvoir comme le sien, de type bonapartiste, fort, mis là pour remettre de l'ordre après le grand chambardement des années 90, ne peut pas se permettre de laisser tomber des Russes à l'étranger qui se trouvent en danger.

Ne l'oubliez pas : c'est vécu ainsi à l'est de l'Ukraine ! La prise de pouvoir non-légitime à Kiev, vécue comme telle en tout cas. Car l'accord signé entre Ianoukovitch et les trois ministres européens n'a pas été respecté ! Dès le lendemain matin, au lieu d'attendre des élections anticipées que Ianoukovitch a fini par accepter, de faire une révision constitutionnelle, de désarmer les gens du Maidan qui ont pris toutes les armes dans l'Ouest de l'Ukraine... Ce sont des groupes armés qui ont commencé à aller dans des villes de l’est de l’Ukraine où ils n’ont pas toujours été bien reçus… Ce pouvoir a une légitimité révolutionnaire mais pas constitutionnelle : les gens de l'est de l'Ukraine le ressentent comme un danger."

Le sort humanitaire des Ukrainiens intéresse-t-il quelqu'un ? Poutine ou les Occidentaux ?

"En tout cas, Poutine leur a promis 15 milliards avant les retournements révolutionnaires et il a baissé le prix du gaz de 30%. Pour l'instant, l'Union européenne n'a rien donné. Si quelqu'un donne de l'argent, c'est lui ! Bien sûr, il agit dans son intérêt, mais c'est aussi l'intérêt l'Ukraine : 60% de son économie est basée sur ses échanges avec la Russie. Elle ne peut pas exporter vers l'UE, ses produits ne sont pas conformes aux standards de l'UE."

Poutine se moque des colères occidentales. Il se sent surpuissant : réalité ou jeu de scène ? 

"Il y a des rapports de force diplomatiques. Ce que Poutine craint, ce sont des problèmes avec les populations russes à l'extérieur et notamment en Crimée qui est particulièrement sensible. Mais aussi que les Américains veuillent intégrer l'Ukraine à l'OTAN. Il n'en veut pas. Les Russes se sont déjà fait avoir quand ils ont accepté d'abattre le mur de Berlin : on leur avait promis que l'OTAN ne s'étendrait pas à l'Est. Les années suivantes, l'OTAN était installé dans les pays baltes et a commencé à installer radars et fusées contre la Russie en Pologne et en Tchéquie. C'est normal qu'il commence à se méfier !"

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