Tunisie : les agressions "sont monnaie courante"

Les Tunisiens ont défié la police dans la capitale.
Les Tunisiens ont défié la police dans la capitale. © Reuters
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Nicolas Poincaré, Isabelle Millet avec Charles Carrasco
LE POINT DE VUE - Pour Mathieu Guidère, spécialiste de l'Islam, les violences étaient prévisibles.

L'INFO. Un chef de l'opposition laïque tunisienne, Chokri Belaïd a été tué par balles mercredi devant son domicile à Tunis. Ce premier assassinat du genre depuis la révolution de 2011 a provoqué des manifestations de colère contre le pouvoir islamiste et de violents heurts avec la police.

>>> Mathieu Guidère, spécialiste de l'islam, décrypte cette flambée de violences.

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© Max PPP

Qui voulait faire taire Chokri Belaïd ? Malheureusement, ce qui vient de se passer reflète un climat qui dure depuis plusieurs mois. Ce n'est pas la seule personnalité qui était menacée de mort. Il y en avait beaucoup, en particulier dans les forces de gauche. Ceux qui les menaçaient, on sait globalement qui ils sont : il s'agit de l'aile extrême radicale des islamistes. Pas nécessairement dans le parti Ennahda lui-même mais il y a, le chef de Ansar al-charia, qui est un groupe tunisien radical dont le chef est en fuite. Il a carrément appelé les Tunisiens à ne plus aller se battre dans le djihad au Mali, en Syrie car il y avait déjà à faire en Tunisie.

Ces violences étaient-elles prévisibles ? On pouvait les voir venir. On a commencé par des menaces physiques, des agressions qui sont devenues monnaie courante depuis quelques temps. Et puis, on est monté en degré dans la violence verbale qui par la suite s'est transformée en menaces de mort. Et donc un monsieur comme Chokri Belaïd recevait tous les jours des menaces de mort. Simplement dans le climat d'exagération des deux côtés -c'est-à-dire des extrémistes des deux camps-, on en est arrivé à ne plus voir qu'il est possible que certains fous passent à l'action. C'est gravissime. On est passé de la violence verbale à la violence physique, à l'assassinat politique.

Y'a-t-il un risque d'embrasement ? Ce ne sont pas les manifestations qui m'inquiètent. Les Tunisiens manifestent depuis deux ans. Ce sont surtout les assassinats politiques qui m'inquiètent. On sait qu'en Algérie en 2012, et en 1992, lorsque la situation a basculé, c'est à partir du moment où il y a eu des assassinats politiques, des assassinats de porte-paroles. Si on commence à assassiner les porte-paroles de gauche, j'espère qu'on ne va pas basculer dans l'œil pour œil, dent pour dent. A ce moment là, la violence va s'instaurer. Malheureusement, c'est un cran supplémentaire. Ce qui m'inquiète, c'est surtout qu'on ne respecte plus la vie et que l'expression d'une opinion peut conduire à la mort. C'est ça la fin de la démocratie en réalité. C'est ça qui est dangereux.