Le budget de la discorde aux Etats-Unis

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Jean-Louis Dell'oro , modifié à
Les élus américains ne parviennent pas à s'accorder sur les coupes budgétaires. 

Républicains et démocrates foncent tout droit vers une nouvelle impasse. Les deux camps ne sont pas parvenus lundi à se mettre d'accord sur la répartition des 1.200 milliards de dollars (888 milliards d'euros) de coupes budgétaires sur 10 ans prévues lors du relèvement du plafond de la dette en août dernier.

 Echec du "super-comité"

Les Américains avaient pourtant mis en place un "super-comité" composé de six démocrates et de six républicains pour régler la question. Or, les coprésidents de cette commission spéciale ont annoncé lundi l'échec de leur mission. "Après des mois de travail acharné et de délibérations intenses, nous sommes arrivés aujourd'hui à la conclusion qu'aucun accord bipartisan ne sera en mesure d'être annoncé avant la date limite du comité", ont fait savoir dans un communiqué commun Jeb Hensarling, élu républicain à la Chambre des représentants, et Patty Murray, sénatrice démocrate.

Cette issue était prévisible tant les négociations, délicates sur ce sujet, ont patiné.

Souviens-toi l'été dernier

La situation rappelle furieusement celle de cet été où les atermoiements des membres du Congrès sur le relèvement du plafond de la dette avait fini par provoquer la dégradation de la note américaine. Du jamais vu.

Cette-fois ci, républicains et démocrates s'opposent sur les coupes budgétaires. Les démocrates souhaitaient à l'origine augmenter les impôts de 1.000 milliards de dollars (740 milliards d'euros). A l'inverse, les républicains voulaient que la plus haute tranche d'impôt sur le revenu passe de 35% à 28%.

La dernière base de travail prévoirait finalement 876 milliards de dollars (648 milliards d'euros) en réduction des dépenses et 400 milliards de dollars (296 milliards d'euros) en augmentation d'impôts. Mais les républicains ne lâcheront pas sans obtenir une privatisation partielle de Medicare, l'assurance santé. En cas d'échec des négociations, le budget sera automatiquement amputé de cette somme. La première moitié des coupes concernera l'armée, l'autre les programmes fédéraux.

Prochains blocages en perspective

A priori, les Américains n'en ont pas fini avec cette opposition frontale entre élus. Les négociations sur le budget 2012 occuperont en effet la fin de l'année de l'agenda politique. Et la crise sur le plafond de la dette pourrait bien se reproduire assez rapidement. Le seuil au-delà duquel l'Etat n'a plus le droit de d'emprunter a été fixé cet été à 16.400 milliards de dollars (12.138 milliards d'euros). Mais avec environ 1.300 milliards de dollars de déficits cette année (962 milliards d'euros) et une dette qui a déjà franchi la barre des 15.000 milliards de dollars (11.102 milliards d'euros), le plafond pourrait être atteint peu de temps après la prochaine élection présidentielle de fin 2012.

Mais les raisons de cet énième blocage entre élus sont plus profondes qu'une simple opposition technique sur les coupes budgétaires. Afin de comprendre pourquoi, il faut s'intéresser au fonctionnement des institutions américaines. Les pères fondateurs de la Constitution de1787 avaient tout fait pour que le système se bloque rapidement. Dans leur esprit, il s'agissait d'obliger les élus à trouver des compromis et à encadrer strictement le pouvoir de l'Etat. Mais aujourd'hui, les compromis ne se font plus et la mécanique se grippe.

Traditionnellement par exemple, le relèvement du plafond de la dette ne posait pas de problème politique. Celui-ci a pratiquement toujours été voté sans difficulté : 100 fois depuis 1917. De vrais blocages dans les discussions ne se sont produits qu'à deux reprises : sous la présidence du républicain Reagan en 1985 et sous la présidence du démocrate Bill Clinton en 1995. A chaque fois, cela a eu lieu lorsque le Congrès n'était pas de la même couleur politique que le président. Cette situation de "cohabitation" n'a cependant rien d'exceptionnelle aux Etats-Unis. Signe que le blocage des institutions est avant tout une question de radicalisation des élus.

En ce qui concerne le "super-comité", les hommes politiques qui le composent ont semble-t-il plus été choisis pour leur loyauté envers leur parti respectif que pour leur capacité de compromis. Là encore, ce n'est pas habituel aux Etats-Unis où on a tendance à nommer des techniciens plus prompts au dialogue. Plusieurs membres du "super-comité" ont ainsi voté contre des textes de compromis lors de précédentes commissions bipartisanes sur la dette ou la fiscalité.

Des politiques "prisonniers de leur image"

"Il y a une polarisation croissante du personnel politique américain", analyse Laurence Nardon, chercheur responsable du programme Etats-Unis à l'Institut français des relations internationales (Ifri), interrogé par Europe1.fr. Au fil des mois, républicains et démocrates campent de plus en plus fermement sur leurs positions.

Cette radicalisation des deux camps se retrouve désormais dans les médias. Avec Internet, les blogs et le câble, il y a eu une multiplication du journalisme de niche. "Les gens sont de moins en moins exposés aux médias qui ne pensent pas comme eux", s'inquiète Laurence Nardon. "Et les politiques sont prisonniers de leur image dans ces médias", poursuit-elle. Chaque élu représente un courant spécifique et a de plus en plus de mal à s'en éloigner, sous peine de sanction électorale.

Le député républicain texan Jeb Hensarling, qui co-préside le "super-comité", est par exemple viscéralement opposé à toute augmentation de taxe. Parmi les autres membres de ce groupe, on retrouve aussi le sénateur républicain Jon Kyl de l'Arizona, grand défenseur du budget militaire. Côté démocrate, la co-présidente du "super-comité", la sénatrice de Washington Patty Murray, menait la campagne sénatoriale contre les républicains aux dernières élections.   

La dégradation du climat économique a également certainement renforcé les divergences au sein de la population et des élus. "On est dans une vie politique où le sens de l'Etat, du long terme, n'a plus grande importance pour des gens ancrés dans leur idéologie", estime Laurence Nardon. Un nouveau radicalisme dont les mouvements comme Occupy Wall Street ou le Tea Party sont aussi l'émanation.