Justice : deux Khmers rouges dans le déni total

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avec AFP , modifié à
Les deux "frères" de Pol Pot ont participé à l’exode meurtrier de 2 millions de cambodgiens vers les campagnes.

L’info. Sous leur régime, deux millions de personnes sont mortes au Cambodge. Deux des plus hauts dirigeants Khmers rouges encore vivants, Khieu Samphan et Nuon Chea, devraient bientôt connaître leur sentence. Leur procès est entré mercredi dans sa phase finale. Tous deux sont poursuivis pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité.

Des accusés dans le déni. Mais les deux accusés sont dans le déni le plus total et refusent de reconnaître les crimes perpétrés entre 1975 et 1979, sous le régime communiste de Pol Pot. "En dépit du nombre des charniers, les accusés continuent de nous dire qu'ils ne savaient pas", a lancé Elisabeth Simonneau-Fort, une des avocates des victimes, dénonçant des accusés octogénaires qui se sont "murés dans le silence" alors que ce procès hors normes, aux plus de 3.800 parties civiles, touche à sa fin.

L’exode vers les campagnes. En avril 1975, deux millions de Cambodgiens, habitant dans la capitale, avaient été forcés d’aller travailler dans les campagnes, afin de mettre sur pied le rêve d’une société agraire de Pol Pot. "Je voudrais que nous soyons tous capables de voir ceux qui marchent le long des routes", a lancé l’avocate, décrivant avec une émotion intense les parents "affolés" de perdre leurs enfants, envoyés dans des camps séparés. "Qu'ils soient forcés de les voir", a-t-elle ajouté à l'adresse des deux compagnons de route de Pol Pot.

L’un des deux accusés absent. Seul l'ancien chef de l'Etat du "Kampuchéa démocratique" Khieu Samphan, 82 ans, a pu l'entendre de vive voix, l'ancien idéologue du régime Nuon Chea, 87 ans, s'étant fait porter pâle le matin, après vingt minutes d'audience. "Je veux aller dans la cellule du sous-sol", a demandé "Frère numéro deux" (Pol Pot étant le numéro un), le regard caché par ses habituelles lunettes noires.

200 jours d’audience et 100.000 « spectateurs ». Quelque 500 Cambodgiens, victimes ou ex-Khmers rouges, mais aussi moines ou étudiants, conduits par autocars affrétés par la cour, ont assisté mercredi au début de cette dernière étape judiciaire avant le verdict. Cela porte à près de 100.000 le nombre de personnes ayant assisté aux plus de 200 jours d'audience, selon ce tribunal spécial parrainé par les Nations unies.

Le régime de Pol Pot  a fait 2 millions de morts au Cambodge :

Les "sinistres convois vers l'enfer". Cette nouvelle étape judiciaire est très attendue, près de quarante ans après le régime paranoïaque de Pol Pot. Alors que le procès commencé en 2011 a été découpé en segments de crainte de voir mourir les accusés, ce premier "mini-procès" porte uniquement sur l'évacuation forcée de la capitale. Deux autres accusés ont échappé à leur procès : l'ancien ministre des Affaires étrangères Ieng Sary est en effet mort en mars, à 87 ans, et sa femme, l'ex-ministre des Affaires sociales Ieng Thirith, a été libérée pour démence.

L'avocate des parties civiles Christine Martino a évoqué les "sinistres convois vers l'enfer" déportant les deux millions d'habitants de Phnom Penh notamment vers des fermes dans les campagnes. "Ce ne sont pas les petits chefs qui ont organisé ces convois", a-t-elle dit. Son collègue Hong Kim Suon a quant à lui insisté sur le fait que les Khmers rouges avaient "utilisé la privation de nourriture comme un moyen de répression". Nuon Chea et Khieu Samphan "savaient non seulement ce qui se passait, mais ont échafaudé cette politique", a-t-il martelé.

Un verdict début 2014. Après les conclusions des parties civiles, l'audience doit se poursuivre jeudi avec les réquisitoires des procureurs, puis les plaidoiries de la défense, jusqu'au 31 octobre. Le verdict devrait ensuite être rendu au premier semestre 2014, après examen de quelque 4.000 documents. Les dommages aux victimes doivent servir le cas échéant à des projets collectifs comme la construction d'un mémorial ou des travaux de documentation. Aucune date n'a été fixée pour le "mini-procès" suivant, mais le tribunal a évoqué la possibilité qu'il puisse commencer avant même ce verdict, malgré les problèmes de financement.

Depuis sa création en 2006, le tribunal n'a rendu qu'un seul verdict : la perpétuité pour "Douch", chef de la prison de Tuol Sleng à Phnom Penh, où 15.000 personnes ont été torturées avant d'être exécutées.