Liao Yiwu crédit : Europe 1 2:33
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Marthe Ronteix
Avant de quitter la Chine huit ans plus tôt, le dissident Liao Yiwu a rassemblé les témoignages de ceux qui ont vu ou participé au massacre de la place Tiananmen de Pékin en 1989. Il revient sur ces gens ordinaires qui se sont transformés en héros au micro de Nikos Aliagas mardi.
INTERVIEW

Mardi marque les 30 ans du massacre de la place Tiananmen, à Pékin, qui aurait fait au moins 10.000 morts parmi les manifestants. Dans son ouvrage Des Balles et de l'Opium aux éditions Globe, le dissident chinois Liao Yiwu a rassemblé les témoignages de gens ordinaires qui se sont transformés en héros cette nuit-là. Au micro de Nikos Aliagas, il revient sur ces événements marquants.

"Tout ce qu'ils ont fait ce jour-là était courageux"

Liao Yiwu a été emprisonné pendant quatre ans pour avoir écrit un poème sur cet événement sanglant. Mais si c'était à refaire, il n'hésiterait pas "parce que j'aspire tellement à la liberté." Il raconte qu'au moment de son procès, deux policiers ont apporté une caisse contenant des centaines de cassettes sur lesquelles son poème avait été enregistré. "Je trouvais que c'était tellement bien ce que j'avais fait."

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En compilant les histoires de personnes ordinaires, il a voulu montrer d'autres facettes de cette lutte contre le gouvernement. "Dans mon livre, beaucoup de gens ressemblent à ce Wang Weilin [cet étudiant rendu célèbre pour la photo qui le montre bras tendus devant une colonne de chars]. Eux aussi ont empêché l'armée d'entrer dans Pékin. Et tout ce qu'ils ont fait ce jour-là était aussi courageux sauf que cela a été oublié", décrit-il. "Les gens ordinaires sont restés et ont bravé le destin des chars et des mitraillettes. C'est pour ça que j'ai pensé que c'était important d'écrire ce qui leur était arrivé", malgré le peu d'effet de cet acte de rébellion.

Ces héros ordinaires "ne regrettent rien"

"Il n'y a pas eu de bons résultats jusqu'à présent", regrette Liao Yiwu. "Cette année-là, c'étaient de vrais héros. Mais ils ont fait beaucoup d'années de prison et ont été complètement oubliés. Quand ils sont sortis, ils étaient complètement marginalisés. Mais ils ne regrettent rien", assure-t-il.

Parmi ces "héros", Liao Yiwu se souvient particulièrement de Wu Guo Fang, "un étudiant qui voulait garder la mémoire de tout ce qui se passait avec son appareil photo. Mais il est tombé sur un assassin qui l'a visé avec sa baïonnette. Lui n'a pas voulu lâcher son appareil. Il s'est emparé de la baïonnette et le soldat l'a plantée dans sa poitrine. Au moment où il est tombé, il a continué de fixer son assassin [avec son appareil]. Cette histoire m'a vraiment bouleversé", se souvient le dissident.

"Je n'ai plus d'idéal pour la Chine"

Quant à la situation actuelle, le Chinois est plutôt pessimiste. S'il a baptisé son ouvrage Des Balles et de l'Opium, c'est pour rappeler qu'après les événements, "ils ont utilisé l'opium, c'est-à-dire le consumérisme, pour faire oublier aux gens ce qui s'était passé. J'espère que le président Macron, qui est un jeune président, sera plus fort que l'attrait de l'opium", glisse-t-il. "J'espère que les politiques français seront vigilants."

Liao Yiwu a quitté la Chine il y a huit ans, un pays pour lequel il "n'a plus d'idéal. C'est un pays qui s'est transformé en une énorme poubelle." "En 1989, les Chinois avaient un idéal, ils voulaient réaliser la démocratie dans leur pays. Mais le résultat est qu'il y a eu une alliance entre le capitalisme et la dictature. Aujourd'hui le peuple pourrait-il se lever à nouveau contre le gouvernement ? Ce n'est pas sûr." En revanche, il garde de l'espoir pour sa province natale du Sichuan. "Je pense qu'un jour elle sera indépendante et que toute la Chine sera disloquée en plusieurs pays", conclut le dissident.