"Petit bar" : une vendetta corse aux assises

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La ville d'Ajaccio, préfecture de Corse-du-Sud, et théâtre de violents règlements de comptes ces dernières années. © AFP
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RÉCIT - Onze personnes sont jugées aux assises des Bouches-du-Rhône à partir de lundi pour une série de règlements de comptes. L'ex-dirigeant nationaliste Alain Orsoni est accusé de menaces de mort. Son fils, Guy, est jugé pour deux meurtres par balles. 

"Le gibier n'a pas coutume de payer les cartouches du chasseur qui veut le tuer". En une phrase le décor est planté. Celui de la Corse-du-Sud, des ruelles d'Ajaccio jusqu'au maquis, dans lequel se joue une sanglante vendetta, entre 2008 et 2009. Ces mots sont ceux d'Alain Orsoni, ancien chef nationaliste et ex-président de club de football de la cité impériale. Ils lui valent de comparaître à partir de lundi à Aix-en-Provence, devant les assises des Bouches-du-Rhône, pour menaces de mort. Son fils, Guy Orsoni, figure lui aussi sur le banc des accusés : il est poursuivi pour les meurtres de Thierry Castola et Sabri Brahimi, deux hommes proches de la bande du Petit bar, tués par balles en 2009. Onze individus au total sont jugés aux assises dans ce procès, celui de la guerre présumée entre les clans des Orsoni et des Castola. 

La genèse : machines à sous et exil doré au Nicaragua

Cette affaire prend sa source dans les années 90, quand le Front de libération nationale corse (FLNC) éclate en différents groupes dont l'un d'eux, le Mouvement pour l'autodétermination (MPA), est fondé par Alain Orsoni. Un groupe que ses détracteurs surnomment "mouvement pour les affaires", en raison de son penchant pour le business. Les différentes entités se livrent une guerre fratricide et les règlements de comptes s'enchaînent alors sur l'Ile de Beauté. En 1996, Alain Orsoni est poussé à l'exil. Le "bel Alain" pose ses bagages en Amérique centrale, au Nicaragua, où il se lance dans une affaire -légale- de machines à sous. Certains de ses anciens compagnons du MPA, dont un certain Francis Castola père, investissent dans ce business. Mais l'affaire tourne court et Castola, qui perd son investissement, s'estime spolié.

C'est le début du conflit entre les clans Orsoni et Castola. Francis, qui est resté à Ajaccio, est alors proche de la génération émergente du grand banditisme corse, la fameuse bande du "Petit bar" d'Ange-Marie Michelosi et Jacques Santoni, du nom de l'établissement fréquenté par ses membres à Ajaccio. Il est cependant abattu devant son domicile, le 14 septembre 2005. Le jour de ses obsèques, Alain Orsoni aurait refusé de porter le cercueil de son vieux compagnon de route, ne voulant pas être associé au Petit bar. 

De retour, le "bel Alain" échappe à la mort 

Trois ans plus tard, au terme de 13 ans d'exil, Alain Orsoni revient s'installer sur l'Ile de Beauté pour prendre la présidence de l'AC Ajaccio, le club de foot de la ville. Mais la rumeur lui prête des intentions plus sombres : celles de prendre l'ascendant sur le crime organisé en Corse-du-Sud. En août 2008, il échappe dans la foulée à une tentative d'assassinat. Ce jour-là, le commando qui s'apprête à passer à l'acte dans les environs du stade François Coty s'aperçoit qu'il est surveillé par les hommes de la Brigade de recherche et d'intervention (BRI) de la PJ d'Ajaccio. Le convoi, constitué de plusieurs véhicules, scooters et motos de grosses cylindrées, se disperce et s'évapore dans la nature en renonçant à son projet.

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© PASCAL POCHARD-CASABIANCA/AFP

La bande du Petit Bar semble alors toute désignée. Deux de ses membres présumés sont condamnés à six ans de prison en 2011 pour "association de malfaiteurs en vue de commettre un homicide en bande organisée" sur la personne d'Alain Orsoni. Ce complot visait, semble-t-il, à venger l'assassinat d'Ange-Marie Michelosi, l'homme considéré comme l'héritier du parrain présumé de Corse-du-Sud "Jean-Jé" Colonna, décédé en 2006 dans un accident de voiture. Ange-Marie Michelosi était également l'ancien propriétaire du fameux "Petit bar". Un établissement dont il avait un temps confié la gérance à un certain Francis Castola "junior", fils de l'ancien ami d'Orsoni. "Le plus dangereux des Castola" selon l'accusation, revendique toujours le remboursement de l'investissement de son père au Nicaragua, malgré la mort de ce dernier. 

Règlements de comptes entre (ex-) amis ?

Le 3 janvier 2009, à 20 heures, deux coups de feu retentissent dans le village de Bastellicia, sur les hauteurs d'Ajaccio. Atteint d'une balle, un homme tente de se réfugier dans le bar qu'il vient de quitter à la fin d'une partie de carte. Il se nomme Thierry Castola, il est le fils de Francis Castola père, le frère de Francis Castola fils. Agé de 36 ans, ce pompier en poste à l'aéroport d'Ajaccio succombe à ses blessures.

Moins d'un mois plus tard, le sang coule de nouveau. Sur les coups de 19 heures, quatre hommes, deux pilotes et deux passagers casqués et gantés, surgissent sur deux motos dans une petite rue du centre d'Ajaccio. Des coups de feu retentissent : pris en tenaille, le conducteur d'un scooter tombe sous les balles. Le tireur descend du deux-roues et prend le temps d'achever sa cible avant de prendre la fuite. La victime se nomme Sabri Brahimi. C'est un proche de la bande du Petit bar.

La scène de crime de l'assassinat de Sabri Brahimi, à Ajaccio

© AFP

Quelques temps après ces deux assassinats, un message est transmis à la justice. Il s'agit d'une lettre à l'attention des Castola, signée de la main d'Alain Orsoni à l'automne 2008. "Le gibier n'a pas coutume de payer…", les mots balayent le contentieux nicaraguayen : Orsoni ne paiera sa "dette". Francis Castola fils échappe de peu au même sort que son défunt frère, le 10 avril 2009. Ses deux gardes du corps sont abattus dans leur voiture criblée de balles à Ajaccio.

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© AFP

Deux mois plus tard, Le 22 juin 2009, il essuie plusieurs tirs alors qu'il circule à moto sur la route du village d'Alata, à une petite dizaine de kilomètres d'Ajaccio. Touché à la cuisse et à l'épaule, il parvient à échapper aux tueurs.

Le fils Orsoni, au cœur des soupçons

Au fil de  leurs investigations, les enquêteurs voient derrière ces crimes la patte de Guy Orsoni, le fils d'Alain. Un fils qui leur échappe de peu en juin 2009, lors d'un coup de filet mené au domicile des Orsoni à Vero, le village familial. Alain est avisé la veille de cette opération par le coup de fil d'un ami bien renseigné. Ce dernier le prévient : "une fête est organisée chez toi à 6 heures. Ton fils est invité". Guy s'évapore. Sous le coup d'un mandat d'arrêt européen, sa cavale prend fin à Madrid en mars 2011, lorsque la police espagnole l'arrête dans une cabine téléphonique.

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© HO/SPANISH INTERIOR MINISTRY/AFP

Guy Orsoni, aujourd'hui âgé de 30 ans, est poursuivi à Aix pour les "assassinats en bande organisée" de Thierry Castola et de Sabri Brahimi. David Taddei et Jérémy Capitta, deux de ses proches, sont également mis en examen pour ces deux meurtres. Le fils Orsoni a en revanche obtenu un non-lieu, avec Jérémy Capitta, dans l'enquête sur l'assassinat des gardes du corps de Francis Castola fils. Trois autres proches de Guy Orsoni devront répondre de la tentative d'assassinat dont a réchappé Francis Castola avec deux balles dans le corps.

Quant à Alain Orsoni, il fut un temps mis en examen et incarcéré pour complicité dans l'assassinat de Thierry Castola, avant d'obtenir un non-lieu. Sa lettre imagée adressée aux Castola, lui vaut en revanche de comparaître lundi pour menaces de mort. "Une connerie. Ce jour-là il avait pété les plombs. Il était exaspéré", assurait en 2009 son avocat, feu Me Antoine Sollacaro, l'ex-bâtonnier d'Ajaccio. Ce dernier a été assassiné en juin 2012 et les enquêteurs s'orientent aujourd'hui sur la piste du Petit bar.