Le procès du harcèlement dans la gendarmerie devant la justice

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et Noémie Schulz , modifié à
Un adjudant et un maréchal des logis d'une caserne de l'Yonne comparaissent à Paris pour harcèlement sexuel aggravé sur l'une de leurs subordonnées.

Derrière le fait divers, c’est le procès d’un tabou qui s’ouvre mardi devant le tribunal correctionnel de Paris, celui du harcèlement sexuel et moral chez les militaires. Et plus spécifiquement dans la gendarmerie. Deux gradés comparaissent pour avoir fait subir un cauchemar pendant un an à une subordonnée, une jeune femme de 26 ans, d'origine réunionnaise. Entre octobre 2012 et novembre 2013, alors qu’elle officiait dans la brigade de Joigny, dans l'Yonne, la jeune femme affirme avoir été l’objet de plaisanteries graveleuses, de commentaires vulgaires sur son physique ou de demandes de faveurs sexuelles en échange d'un service. Une affaire qui illustre les difficultés qui existent encore pour les femmes au sein de l'armée et de la gendarmerie.

Gémissements suggestifs, tentatives de baisers, propositions graveleuses. Les femmes représentent 15 % des effectifs et doivent se faire une place dans un univers masculin, souvent très viril. Aux enquêteurs, la gendarme a raconté les blagues salaces, les gémissements très suggestifs quand elle était à côté de ses deux supérieurs, les tentatives de baisers sur la bouche, les mains baladeuses, les remarques sur son "joli petit cul" ou encore les propositions graveleuses de plan à trois, de fellation en échange d’un service, y compris pendant des séances d'instruction collectives.

" Ils voulaient que je leur donne ce qu'ils voulaient, faute de quoi, elle aurait été rabaissée dans ses compétences. "

Le harcèlement dure un an, dans le huis clos de la brigade. La jeune femme change alors ses habitudes vestimentaires pour dissimuler ses formes. Elle perd ses cheveux, fait de l'eczéma, prend des antidépresseurs. Ses relations avec son conjoint pâtissent de la situation. Jusqu’au jour où elle se décide à contacter l'association de défense des droits des militaires.

Les suspects suspendus. A la suite de ces révélations, l'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) avait diligenté une enquête. Décrit comme promis à "une perspective de carrière des plus optimistes", l'adjudant avait concédé en garde à vue avoir pu dire que les Antillaises et les Réunionnaises étaient "précoces".  "Je suis un plaisantin, un déconneur, un organisateur de soirées. Je ne suis pas un délinquant sexuel", a-t-il insisté auprès de l'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN). Il a nié avoir pointé son arme de service vers la jeune femme, un incident présumé pour lequel il sera également jugé. Son collègue a évoqué, lui, "un complot" ourdi par "quatre femmes" de cette brigade d'une vingtaine de militaires. S'ils avaient reconnu des "plaisanteries" pour l'un ou des "blagues salaces" pour l'autre, tous deux contestaient farouchement le caractère de "harcèlement sexuel".

L’enquête avait également relevé les "carences du commandant d'unité dans le domaine du contrôle des personnels", son "manque de discernement" qui "a pu favoriser des dérives d'autres personnels tout en privant" la plaignante "de la confiance et de l'appui qu'elle aurait pu espérer". Les deux prévenus de 36 et 37 ans avaient finalement été suspendus de leurs fonctions en décembre 2013 et sont visés par une procédure disciplinaire.

"La complaisance de la hiérarchie". "La vérité doit être faite sur ce qui s'est passé dans cette caserne", a déclaré l'avocate de la victime, Me Elodie Maumont. "Cette jeune femme a fait face à un véritable parcours du combattant" pour se faire entendre, a poursuivi Me Maumont, qui dénonce la "négligence voire la complaisance" de la hiérarchie vis-à-vis des mis en cause. Aujourd'hui, la jeune gendarme exerce toujours et a quitté l'Yonne pour la région parisienne. Mais selon son avocate, cette affaire l'a "détruite", et ce procès doit lui permettre de continuer à se "reconstruire".

Une forme d’omerta au sein de la gendarmerie. Depuis avril 2014, la cellule Themis a été mise en place par le ministère de la Défense pour recueillir les témoignages de victimes de harcèlement, discriminations ou violences sexuelles. Elle a déjà été saisie de plus d'une centaine de cas.

Jacques Bessy, ancien colonel de gendarmerie et membre de l'association de défense des droits des militaires, rapporte qu’il reçoit tous les mois plusieurs témoignages comme celui de la gendarme qui a porté plainte. Il est impossible de chiffrer le nombre de victimes. Certaines femmes préfèrent ne rien dire, se mettrent en arrêt maladie, d'autres démissionnent carrément de l'armée sans oser porter plainte.

"On ne rappelle pas aux hommes que l’on doit respecter les femmes. Par exemple, dans la gendarmerie, la bise que l’on impose aux militaires féminins, le matin, au sein de leur unité, c’est le début d’une promiscuité qui n’est pas acceptable. Et qui n’existe pas, ni dans le secteur privé, ni dans la fonction publique. Ces comportements-là doivent être réprimés et bannis", s’agace-t-il au micro d’Europe 1.