Loi sur le renseignement : les points qui font débat

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Chloé Pilorget-Rezzouk avec AFP , modifié à
Examiné à l'Assemblée nationale à compter de lundi, le projet de loi sur le renseignement sera présenté par Manuel Valls lui-même. Retour sur les points fondamentaux de ce texte controversé.                   

C'est un projet de loi qui déplaît fortement aux défenseurs des libertés publiques. Le texte, qui vise à renforcer les pratiques des services du renseignement en leur donnant un cadre légal, sera examiné dès lundi par les députés. Preuve de l'importance de l'enjeu, quelques mois après les attentats de janvier ayant frappé Paris, c'est le Premier ministre lui-même qui viendra le présenter devant l'hémicycle dans l'après-midi.  L'occasion de faire le point sur les propositions de cette loi.  

• Sept motifs de surveillance. Pour la première fois, le législateur dresse une liste "limitative" de motifs justifiant le recours aux "techniques spéciales" de recueil de renseignement comme la pose de micros, de caméras ou l'installation de keyloggers, des logiciels espions enregistrant ce qu'une personne tape sur son clavier d'ordinateur ou des "interceptions de sécurité" portant sur les contenus électroniques des mails et des conversations téléphoniques. Parmi les conditions requises pour engager une surveillance figurent ainsi la "défense nationale, les intérêts de politiques étrangères, les intérêts économiques ou scientifiques majeurs", mais aussi "la prévention du terrorisme, de la prolifération des armes de destruction massive ainsi que des violences collectives pouvant porter gravement atteinte à la paix publique".

Pourquoi ces motifs sont-ils critiqués ? Car les opposants au texte estiment qu'ils sont trop flous et craignent un recours abusif à des moyens "de surveillance de masse" jugés liberticides.  

• Usage de l'Imsi-catcher, outil décrié.  Le projet de loi sur le renseignement accorde également l'autorisation d'utiliser à des fins de surveillance, un outil redoutable nommé l'Imsi-catcher. Cet appareil permet, en imitant le fonctionnement d'une antenne-relais, d'intercepter les téléphones portables, leurs données de connexion ou écouter les conversations.

C'est l'un des points qui suscite les plus vives inquiétudes. Bien sûr, la commission des lois encadre son usage, en obligeant les agents à tracer exactement leur utilisation. Mais l'appareil espion ratisse large et peut capter tous les téléphones qui se trouve dans son périmètre, pas seulement celui visé par l'enquête.      

• Des algorithmes pour une surveillance massive. Le projet de loi prévoit, par ailleurs, un dispositif d'analyse automatique des données - un algorithme - destiné, à "révéler une menace terroriste".  Ces "boites noires", telles que les surnomment leurs opposants, seront installées chez les fournisseurs d'accès à internet pour surveiller le trafic grâce à la captation en temps réel des données de connexion.

Pourquoi ce dispositif est-il décrié ? Un dispositif de surveillance pour détecter des activités suspectes qui fait grincer des dents les acteurs du monde numérique, fournisseurs d'accès et associations d'usagers. Sept hébergeurs de données, dont les deux plus gros, ont menacé jeudi de délocaliser leurs entreprises pour échapper à ce que beaucoup dénoncent comme une surveillance de masse.

"Il ne s’agit plus seulement d’accéder aux données utiles concernant une personne identifiée, mais de permettre de collecter de manière indifférenciée un volume important de données qui peuvent être relatives à des personnes tout à fait étrangères à la mission de renseignement", s'alarme quant à elle la CNIL, dans son rapport dont Le Monde a eu connaissance. 

• Le renseignement pénitentiaire renforcé. La loi prévoit également d'intégrer par décret les agents du renseignement pénitentiaire à la communauté du renseignement. La question est sensible, car si le renseignement pénitentiaire "n'entre pas dans le périmètre traditionnel du renseignement", selon une source proche des services, la prison étant un lieu reconnu de radicalisation, " l'enjeu demeure de récupérer des données intéressantes".

Quel problème pose cette nouvelle place ? Sur ce point, la garde des Sceaux Christiane Taubira a clairement exprimé ses réticences lors des débats en commission. Selon elle, recueillir et traiter du renseignement avec les nouvelles techniques accordées aux autres services, en sonorisant des cellules par exemple, "n'est pas le métier" des agents du renseignement pénitentiaire. D’après Christiane Taubira, cela reviendrait à placer le ministère de la Justice dans la position d'un "demi-ministère de l'Intérieur supplémentaire".

• Une nouvelle autorité administrative indépendante. Toutefois, pour contrôler tous ces usages, la loi prévoit de remplacer l'actuelle commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) par une nouvelle autorité administrative indépendante, dotée de beaucoup plus de moyens, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Elle aura accès aux informations collectées, à leur traçabilité et aux locaux où ils sont centralisés.

Présentée comme un garde-fou par le rapporteur du projet, le député PS Jean-Jacques Urvoas, cette commission dont la composition fait encore débat - à ce stade quatre magistrats, quatre parlementaires et un spécialiste des communications électroniques - devra donner son avis préalable à chaque mise en œuvre de ces techniques de surveillance sur le territoire national. Certes, le Premier ministre pourra passer outre, mais en motivant sa décision.

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