Deux jeunes supporters fauchés par un RER : la SNCF devant la justice

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Chloé Pilorget-Rezzouk avec AFP , modifié à
JUSTICE - L'entreprise ferroviaire comparaît en correctionnelle pour la mort de deux jeunes Lillois, fauchés par un RER après s'être perdus sur les voies à l'issue d'un match de foot.

Cela aurait dû être un soir de fête. Lorsqu'ils ont quitté le Stade de France, leur équipe venait de remporter son match contre l'Olympique Lyonnais sur le score de 2 à 0. Mais les deux jeunes supporters Lillois ont été fauchés par un RER après s'être égarés sur des voies plongées dans l'obscurité et dénuées de panneau de signalisation. A compter de lundi, et durant deux jours, la SNCF devra ainsi répondre, devant le tribunal correctionnel de Bobigny, de "blessures" et "homicides involontaires".

Pas d'éclairage ni de panneaux signalétiques. Ils s'appelaient Jordan et Sullivan et avaient respectivement 10 et 18 ans. Tous deux ont trouvé la mort dans cet accident survenu sur un pont ferroviaire, où onze personnes ont également été blessées, dont trois grièvement. Ce soir du 7 mars 2009, après leur victoire face à l'OL, les supporters du Losc tentent de regagner leur bus, garé à 600 mètres du Stade de France, lorsqu'ils sont heurtés par un train. Alors qu'ils souhaitent à l'origine reprendre le chemin suivi à l'aller, ils sont bloqués par un barrage de police. Egarés et après avoir demandé sans succès leur chemin, ils finissent par gravir un escalier interdit au public menant aux voies, plongées dans l'obscurité.

"Ils ont vu une grille ouverte, sans panneau signalétique. Il n'y avait pas d'éclairage", raconte Me Laurent Guilmain, conseil de l'un des 11 blessés. Ce dernier, aujourd'hui "travailleur handicapé", "va vivre avec ça jusqu'à la fin de ses jours", assure l'avocat. "La SNCF n'a pas fait le nécessaire. A partir du moment où il y a des endroits dangereux, il faut tout faire pour éviter qu'on puisse y accéder", ajoute Me Patrick Delbarre, avocat de la famille du petit Jordan.

Un endroit connu pour être dangereux. D'après les déclarations recueillies par les enquêteurs, deux tournées de surveillance avaient été réalisées sur les lieux de l'accident moins d'un mois auparavant, sans que d'anomalies ne soient relevées. Mais pour l'accusation, ces tournées, effectuées à bord d'une cabine et non à pied, ne permettaient pas "un véritable contrôle" des portes d'accès, alors que l'endroit était reconnu comme dangereux par tous les agents SNCF et leurs responsables. Après l'accident, la SNCF avait renforcé ses contrôles pour s'assurer de la "bonne fermeture des accès" aux voies autour du Stade de France les soirs de match.

Une faute caractérisée. Le juge d'instruction estime, quant à lui, que la SNCF a commis une "faute caractérisée", "en ne s'assurant pas que les grilles et ortillons qui donnent accès aux voies étaient bien verrouillées". Au moment de l'accident, le RER B arrivait à 82 km/h dans le dos des supporters, d'après le Bureau d'enquête sur les accidents de transport terrestre (BEA-TT) qui a exonéré le conducteur de toute faute. Après avoir quitté la voie des yeux "deux à trois secondes" pour contrôler son tableau de bord, ce dernier a actionné le freinage d'urgence, immobilisant le train 250 mètres plus loin. 

"Rien que de passer devant le Stade de France, ça me fait mal". Aujourd'hui, le procès s'annonce un moment important pour les victimes. "Cela fait six ans qu'on attend ça. Ça va nous permettre de tourner la page", confie Christian Duminy, grand-père du petit Jordan. Le père du garçonnet, grièvement blessé, est lui resté gravement handicapé. "Il a passé six mois dans le coma. Il n'arrive plus à marcher et a souvent des absences", raconte le grand-père, qui ne fera pas le déplacement à Bobigny. "Ça serait trop douloureux. Rien que passer devant le Stade de France, ça me fait mal", glisse-t-il.  "Le procès ne va pas ramener les morts à la vie, mais c'est un moment important pour les familles des victimes. Ça va leur permettre de faire le deuil", résume l'avocat des Duminy, Me Patrick Delbarre.

Renvoyée en tant que personne morale, la SNCF encourt une amende de 450.000 euros.

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