"Le passé qui resurgit est sûrement une obsession"

© Catherine Gugelmann
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Victor Nicolas , modifié à
Michel Bussi explique pourquoi et comment il aime manipuler ses lecteurs.

 L’auteur de Ne lâche pas ma main fait le point sur les thèmes de ses romans, le passé qui l’obsède, sa position d’auteur et le polar, auquel il souhaite redonner ses lettres de noblesse.

Dans Ne lâche pas ma main tous les ingrédients d’un bon thriller sont réunis : suspens, rebondissements… Qu’est ce qui fait selon vous l’originalité de ce polar ?

J’espère qu’il y a plusieurs choses ! Le roman traite d’une intrigue familiale ou domestique sur l’île de La Réunion. C’est l’histoire d’un père, sa fille, sa femme et de son passé personnel. Il n’y a pas de tueur en série. C’est une intrigue intime où les lecteurs peuvent avoir de l’empathie pour les personnages. Il n’y a rien extraordinaire, c’est un accident qui peut arriver à un couple. L’intrigue se passe à La Réunion, j’ai eu envie d’utiliser le décor de la société réunionnaise, un sentiment de dépaysement. Je voulais communiquer une envie d’évasion. Des lecteurs me disent avoir ressenti beaucoup de plaisir en ayant l’impression d’être sous les tropiques, avec les lagons, etc.

Vous avez déclaré suivre trois étapes pour construire vos romans : l’intrigue, les personnages puis les lieux. Ces trois éléments sont-ils fondamentaux ?

La construction peut être différente pour chaque roman. Ici il y a un couple de touristes qui se retrouve dans un milieu hostile. L’attitude du mari intrigue : au début il est coopératif puis il se sauve. Le lecteur doit se dire qu’il n’est pas coupable, mais d’un autre côté il n’y a pas d’explication plausible.

Vous semblez prendre un grand plaisir à manipuler le lecteur ?

Je le manipule afin qu’il accroche. Il y a une dimension ludique dans cette manipulation et une dimension d’émotion, pour que l’on puisse pleurer. Mais en plus je joue sur cette manipulation. Le regard de la petite fille entretient cela : on se demande si le père est un horrible manipulateur.

Le thème du passé qui ressurgit semble essentiel chez vous ?

Dans ce passé qui ressurgit il y a l’idée de rédemption. C’est un engrenage, un traumatisme d’enfance, un accident, ou un amour qui se termine mal et que l’on traîne comme un boulet. Les héros ont l’impression d’avoir un libre arbitre alors que leur marge de manœuvre est étroite. C’est souvent la trame de mes romans et c’est sûrement une obsession. C’est pour moi un bon thème, qui donne une dimension supplémentaire.

Votre style est très inspiré par le cinéma…

On me dit souvent que mon écriture est cinématographique. Mon type d’écriture fait que c’est un roman à plusieurs voix, donc je précise l’heure et le lieu. Quand on saute d’une narration à l’autre il y a un besoin de resituer l’action. Ici il y a une course-poursuite, avec l’idée d’un minuteur, d’une course contre la montre.

Vous citez dans le roman Agatha Christie et Harlan Coben. Deux références pour vous ?

 

Ce sont des références explicites du ‘whodunit’. Agatha Christie a codé le genre, et Harlan Coben l’a renouvelé. Ce sont des références populaires par excellence. Pour une grande lectrice comme le personnage d’Imelda qui dévore beaucoup de romans policiers, il est normal d’avoir lu ces auteurs. C’est un hommage mais c’est aussi un état de fait.

Vous-même vendez beaucoup, avec 40.000 exemplaires de votre dernier roman. Vous attendiez-vous à un tel succès ?

En réalité nous en avons vendu autour de 120.000 exemplaires au total, car il s’en est vendu 80.000 en poche. On espère ce succès, mais on ne l’attend pas. On espère en vendre beaucoup, récolter des prix et des adaptations cinéma. L’auteur qui dirait le contraire ne se mettrait pas devant sa table pour écrire. On est contents, mais on ne pouvait pas s’y attendre, il n’y a pas de plan commercial en soi.

Souhaitez-vous rester professeur de géographie à l’université ou devenir auteur à plein temps ?

Je reste pour l’instant professeur de géographie à plein temps. J’ai écrit tous mes romans comme cela, pour l’instant cela me va bien. Mais on ne sait pas comment les choses peuvent évoluer. Si je dois prendre une décision je le ferai avec ma famille et mes collègues. Cela dit, les vrais écrivains sont habitués à écrire et vivre avec des gens en permanence. Mais la reconnaissance peut demander de la disponibilité et du temps pour assurer le service après –vente des livres.

Savez-vous où se situera votre prochain roman ?

Je serai de retour en Normandie, avec un roman moins exotique et plus tortueux. Je n’aime pas écrire deux fois le même roman. J’aime bien me mettre un défi, et là ce sera une intrigue à tiroirs. C’est une manipulation très construite, avec une mécanique très précise, à la différence de Ne lâche pas ma main au rythme lâché. L’objectif est toujours de déstabiliser le lecteur.

Quel est votre sentiment après avoir été sélectionné par le jury grand public du Prix Relay des voyageurs ?

 

Pour Ne lâche pas ma main c’est le premier grand prix où je suis finaliste. C’est un prix de littérature générale sur le voyage, donc je suis d’autant plus satisfait qu’un roman noir soit primé à côté d’auteurs classiques. Ce genre est beaucoup lu mais moins connu des critiques. C’est plaisant qu’un roman policier se hisse au milieu d’autres romans. La littérature à suspens est un genre qui en vaut d’autres.