Editeurs numériques : ils dévoilent les secrets du métier

© Reuters
  • Copié
Victor Nicolas , modifié à
Comment travaillent les éditeurs numériques ? Quels sont leurs secrets pour choisir un texte et le distribuer ?

Tablettes, ordinateur portable ou liseuse… Cette façon de lire sur écran séduit de plus en plus les Français. Le livre numérique connaîtra même une croissance à plusieurs chiffres d’ici 2015, selon deux études publiées cet été. Alors que les ventes s’élèvent à 21 millions d’euros aujourd’hui en France, elles devraient atteindre 55 millions d’euros en 2015, selon Gfk. Le groupe d’études Xerfi parie même sur une croissance presque cinq fois plus forte, en prévoyant 206 millions d’euros pour cet horizon.

Dans ce contexte les éditeurs numériques pourraient envisager leur avenir en rose. Nous avons contacté trois d’entre eux parmi les mieux référencés pour mieux comprendre leur métier. Certains se plaignent d’exercer une profession méconnue, que l’on confond souvent avec l’auto-édition. A la différence de celle-ci, ils réalisent un véritable travail de mise en forme du texte numérique. Couverture, mise en page… On peut acheter ces ouvrages dans des librairies en ligne, dont les plus connues sont celles qui fabriquent également des liseuses ou autres i-pad, à savoir Amazon et Apple. Pour éviter de reverser des pourcentages de ventes à ces géants, un grand nombre d’éditeurs numériques a développé en parallèle une activité de libraire en ligne. Les trois éditeurs contactés disposent de sites Internet dédiés où le lecteur peut acheter leurs livres. Une stratégie qui leur permet d’éviter de reverser 30% du prix de vente au libraire en ligne.

La littérature érotique affole le numérique

Les spécificités de ces éditeurs en ligne ? Ils proposent des types de textes qui semblent plus adaptés au web ou aux liseuses. Sur ces formats encore plus qu’ailleurs, les lecteurs seraient à la recherche d’une littérature facile d’accès, qui ne demande pas trop d’effort. Notamment des séries, avec des personnages récurrents et une promesse : « chaque épisode demande un temps de lecture de 45 minutes ». C’est ce qu’indique Jean-François Gayrard, 45 ans, responsable de Numeriklivres. Certains genres se développent particulièrement sur écrans. En particulier la littérature érotique, dans la mouvance du succès emblématique de Cinquante nuances de Grey. « Auparavant  la femme qui voulait acheter ce type de livres devenait toute rouge dans les rayons. Désormais on peut le faire tranquillement depuis chez soi, donc le numérique a amplifié ce phénomène. »

Même son de cloche chez les éditions de La Bourdonnaye, où la saga d’Angela Behelle inspirée des révélations sur DSK affolerait les ventes. Une grande maison d’édition papier pourrait même racheter les droits. La maison d’édition Chemins de traverse consacre quant à elle une grande partie de son catalogue à des ouvrages universitaires. Son fondateur Michel Morvan ne ferme pourtant pas la porte à ce genre : « Je n’aurais pas d’opposition à publier de la littérature érotique. Mais je ne suis pas sûr que j’aurai publié Cinquante nuances de Grey, dont je n’apprécie pas le style. »

Réseaux et économies

C’est la question du choix d’un auteur. Les éditeurs numériques contactés affirment faire généralement une démarche de recherche de ces écrivains. Numériklivres mise sur les pros du web : « On travaille beaucoup avec la blogosphère. Cela nous permet de toucher le public d’un blog puis de faire toile d’araignée. » Les éditions La Bourdonnaye et Chemins de traverse misent sur des auteurs ayant un certain réseau, via leurs écoles ou leurs domaines de spécialité.

Alors quel prix pour fabriquer un ouvrage ? Difficile à savoir, même si les prix sont réduits par rapport à l’édition traditionnelle. A la différence du papier, pas de frais d’imprimerie à prévoir… En outre ces  éditeurs en ligne travaillent avec des indépendants, à toutes les étapes : correcteurs, graphistes, etc. Et n’excluent pas les petites économies. La Bourdonnaye demande à ses auteurs de soigner l’orthographe… ou de payer une correction à leurs frais. Les éditeurs eux-mêmes s’en tirent avec des salaires modestes : Michel Morvan ne tire pas de bénéfices de cette activité, Jean-François Gayrard affirme percevoir « un SMIC » et Benoît de La Bourdonnaye déclare toucher quelque 2000 euros mensuels. Ils vendent leurs ouvrages à des prix oscillant en général entre deux et cinq euros, et parfois jusqu’à dix euros chez Chemins de traverse.

S’ils ont choisi cette voie, c’est souvent par passion pour l’édition. Michel Morvan, ex-directeur scientifique de Veolia, en voie de reconversion, l’affirme : « J’ai avant tout créé cette maison pour lire les livres que je souhaitais ». Autre profil, Jean-François Gayrad avait déjà travaillé dans l’édition papier avant de créer son entreprise en 2010. Il apprécie surtout la façon dont « le numérique modifie le livre ». Enfin, Benoît de la Bourdonnaye, 30 ans, s’est reconverti après quelques années de conseils pour entrepreneurs : « Je voulais me lancer dans un secteur innovant. » Un secteur que les maisons d’édition traditionnelles ne laisseraient pas filer. Aujourd’hui chaque grande maison d’édition possède un département numérique. Et ces dernières sortent désormais l’intégralité de leurs fictions en ligne.