Dans les papiers des libraires

© Reuters
  • Copié
Victor Nicolas , modifié à
Choisir les romans, conseiller les clients, dans un contexte de ventes difficiles… Comment travaillent les libraires?

La tendance n’est pas au beau fixe pour les libraires, avec des ventes de livres en recul de 4,5% en 2012. C’est ce qu’indiquent les derniers chiffres de la Direction générale des médias et des industries culturelles. Sur le terrain, les libraires s’organisent pour proposer des livres qui sortent de l’ordinaire et créer un lien avec leurs lecteurs. Comment s’y prennent-ils ? Pour le savoir nous avons interrogé trois libraires parisiens.

Jérôme Cuvelier, 45 ans, est responsable de La Manœuvre, dans le quartier branché de la Bastille. Il vient d’agrandir l’espace de son magasin en passant de 60 à 90 m². Yannick Poirier, 49 ans, est patron de Chez Tschann, qui a ouvert dès 1929 à Montparnasse. Samuel, 40 ans, est responsable de la librairie Parallèles, dans le quartier des Halles, qui se pose comme  un repaire de la contre-culture depuis les années 1970. Nous avons déniché leurs adresses sur Internet, où ils sont bien référencés. Ils nous racontent leurs histoires et la façon dont ils appréhendent leur métier.

Psychanalyse ou beat generation

Avant tout ils affirment être particulièrement vigilants à leurs choix de livres. Les éditeurs leur rendent visite régulièrement pour leur présenter leur catalogue. S’opère alors une sélection plus ou moins drastique. « Les livres qui marchent le mieux sont ceux que l’on met en avant, et que l’on lit », raconte Jérôme Cuvelier. Sur un fonds total de 12.000 ouvrages, il en aurait lu quelque 1.800. Sa libraire propose un rayon littérature générale, et se concentre sur la photographie et la musique. Des rubriques qui fonctionnent auprès de la clientèle de ce quartier tendance- bohème.

Yannick Poirier revendique quant à lui une grande singularité, à contre-pied des librairies grand public. Son fonds comprend de la littérature, de l’esthétique, des livres d’art, de philosophie et de psychanalyse, ainsi qu’un rayon poésie. Depuis la création de la librairie en 1929 il n’y aurait pas eu de grande révolution. Le but de ce catalogue consiste pour lui avant tout à faire découvrir des auteurs et à « interroger le monde à partir de la littérature et de l’esthétique ».

Pour la librairie Parallèles, Samuel dit privilégier ses goûts personnels, qui seraient aussi ceux de ses clients. Depuis sa création en 1972, la libraire propose un catalogue underground : livres de la beat generation avec des auteurs comme Jack Kerouac et William Burroughs, rayon politique, etc. Avec une originalité : la librairie dispose d’un espace disques, surtout spécialisé dans le rock psychédélique.

« Guillaume Musso, ça se respecte »

Le rapport avec le client serait fondamental. A La Manœuvre, la clientèle serait attentive aux notes manuscrites laissées sur les ouvrages, pour indiquer les goûts des libraires. Chez Tschann, on prend soin de conseiller tout le monde, malgré l’image un rien excluante : « On est réputé pour être des snobs arrogants et élitistes ». C’est ce qu’explique Yannick Poirier, qui défend l’idée d’un lieu où l’on découvre des livres que l’on ne trouve pas ailleurs.

Malgré cela, il ne veut pas prendre ses lecteurs de haut : « Quelqu’un qui va me demander du Guillaume Musso, ça se respecte, par rapport à quelqu’un qui ne va pas lire. » A la libraire Parallèles, Samuel remarque que sa clientèle de quartier achète plutôt de la littérature générale. A la différence de ceux venus de plus loin qui recherchent plutôt les fonds propres à l’esprit des lieux.

Business et subventions

Dans un contexte de crise du livre et devant la concurrence des grandes enseignes, et du livre numérique, ces libraires cherchent à faire du commerce autrement. Pour La Manœuvre, cela passe par le collectif. La librairie fait partie d’un réseau de neuf magasins de l’est parisien, Librest. Ils mettent en commun leurs stocks pour assurer tout type de commandes.

Chez Tschann, Yannick Poirier a une idée bien arrêtée sur son métier de commerçant. Historiquement les propriétaires de cette libraire se sont battus pour la loi sur le tarif unique du livre. Ce texte voté en 1981 dit loi Lang instaure un prix unique choisi par l’éditeur. Le libraire peut alors proposer une réduction qui va jusqu’à 5%. Cependant pour Yannick Poirier, « ce n’est pas uniquement en distribuant des subventions que tout s’arrangera ». Il défend l’innovation et le contact pour promouvoir le livre.

La majorité de ses employés serait payés au Smic. Même chose pour la libraire Parallèles et pour la plupart des libraires de La Manœuvre. En moyenne, un salarié du secteur touche 1.600 euros bruts par mois après quinze ans d’ancienneté, et un patron parfois moins, selon le Syndicat de la librairie française. Avant l’amour des chiffres, les libraires possèdent surtout la passion des mots.