Chaque jour, Vincent Hervouët traite d’un sujet international.
Bonjour Vincent, ce mercredi vous revenez sur ce journaliste qui s'est immolé par le feu en Tunisie pour dénoncer la misère.
Abdel Razzak Zorgui était journaliste reporter d’images, les JRI écrivent avec leur caméra. Encore faut-il en avoir une, qu’une chaîne de télé diffuse vos images, qu’un producteur finance tournage et montage, ce qui fait beaucoup de conditions. On n’est jamais journaliste tout seul. Ou alors, on est au chômage.
Abdel Razzak Zorgui 32 ans, deux enfants, deux ex épouses, était seul, et sans doute qu’il en est mort. Il vivait à Kasserine, à 270 kilomètres au sud-ouest de Tunis, qui n’intéresse pas beaucoup les médias de la capitale, parce qu’il ne s’y passe pas grand chose, mais c’est justement cela le problème en Tunisie : il ne se passe pas grand chose dans tout ce qui se passe. 8 ans après la chute de la dictature, la pauvreté, le chômage, l’absence de développement restent le sort des régions de l’intérieur et les hommes désœuvrés s’y sentent assignés à résidence.
Ce n’est pas avec de l’encre mais avec de l’essence que Abdel Razzak Zorgui a donc signé son dernier papier. Le choc de l’image et le poids du témoignage. Avant de gratter l’allumette, il a rédigé trois phrases, comme une légende. Il dit qu’il commence une révolution pour les fils de Kasserine affamés et marginalisés. On pense à Mohamed Bouazizi, ce marchand des quatre saisons persécuté par la police dont le suicide révolta les Tunisiens et déclencha la révolution contre Ben Ali.
Depuis 8 ans, régulièrement des Tunisiens s’immolent pour dénoncer la vie chère.
Les habitants de Kasserine avaient été les premiers à se rebeller en 2010. Lundi, ils ont rendu hommage au disparu en jetant des pierres aux forces anti-émeutes et en brûlant quelques pneus. Hier, après l’enterrement, ils ont recommencé. Le reste du pays regarde. La Tunisie est le seul printemps arabe qui n’ait pas tourné court, mais le modèle économique est à bout de souffle et 8 gouvernements successifs ont navigué à la godille. Sur le plan social, c’est une cocotte minute.
Il y a un an déjà, un mouvement de révolte s’était répandu comme une trainée de poudre avec un slogan, "qu’est-ce qu’on attend ?". C’est une question de fin d’année, quand on tente un bilan. En Tunisie, l’anniversaire de la révolution est un cap de plus en plus difficile à passer.