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SAISON 2019 - 2020, modifié à

Al Gore ou George W. Bush ? En 2000, le démocrate et le républicain sont au coude à coude dans les sondages tout au long de la campagne. Mais également dans les urnes ! Dans le dixième épisode de Mister President par Europe 1 Studio, le nouveau podcast sur l'histoire des présidentielles américaines, Olivier Duhamel revient sur l'élection controversée de George W. Bush et sa réélection trois ans après le 11- Septembre.

Jamais une élection présidentielle ne s'était jouée à si peu et n'avait été autant sujet à controverse. En 2000, George W. Bush emporte la victoire face au démocrate et ancien vice-président Al Gore après une bataille politico-judiciaire inédite. Dans le dixième épisode du podcast Mister President par Europe 1 Studio, Olivier Duhamel revient sur l'élection contestée de George W. Bush puis sur sa victoire en 2004 dans un monde post 11-Septembre.

Ce podcast est réalisé en partenariat avec l'Institut Montaigne

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En 2000 et 2004, les présidentielles américaines vont se dérégler. Clinton a pu achever son second mandat malgré la procédure d’impeachment engagée contre lui dans l’affaire Lewinsky. Accusé de mensonge sous serment et obstruction à la justice pour avoir nié toute relation sexuelle avec une stagiaire de la Maison-Blanche. À la chambre des représentants, la quasi-totalité des républicains et une poignée de démocrates ont voté sa mise en accusation le 19 décembre 1998. Le procès au Sénat dura du 7 janvier au 9 février 1999. Il fallait une majorité des deux tiers, soit 67 voix, pour le destituer. Mais il fut déclaré non coupable de parjure par les 45 démocrates et 10 républicains et non coupable d’obstruction à la justice par les mêmes démocrates et 5 républicains. Ainsi n’y eut-il non seulement pas les 2/3 pour condamner Clinton, mais même pas une majorité relative, et l’acquittement ne venait pas seulement des démocrates. Clinton put ainsi terminer tranquillement son second mandat. La Constitution en interdisant un troisième, vint la compétition pour sa succession.

Al Gore se détache côté démocrate, Bush chez les républicains

De nombreux démocrates envisagent d’être candidat à la candidature, jusqu’à l’acteur de cinéma Warren Beatty. Ils ne sont finalement que deux à se lancer, l’ancien champion de basket-ball, ex-sénateur du New Jersey Bill Bradley et Al Gore, ancien sénateur du Tennessee et vice-président de Bill Clinton. Gore l’emporte rapidement. Lors de la Convention démocrate, il choisit son colistier. Pas un Noir. Pas une femme. Mais, pour la première fois, un Juif : Joseph Lieberman.

Chez les républicains, treize candidats souhaitent concourir. Plusieurs renoncent avant même le caucus de l’Iowa, faute d’argent, y compris Robert Dole, le candidat contre Clinton en 1996, donné un temps favori. La compétition pour la candidature n’oppose que deux candidats, George W. Bush, gouverneur du Texas, fils de son père l’ancien président qui avait succédé à Reagan, soutenu par l’establishment et John McCain, fils et petit-fils d’amiraux, vétéran de la guerre du Vietnam, sénateur de l’Arizona et assez indépendant. Bush, un politicien né dans la marmite. McCain, un combattant gagnant chacune de ses batailles. McCain ne manque pas de caractère mais de réseaux. Bush, c’est l’inverse. Qui va l’emporter ? McCain gagne les premiers scrutins, mais le vent se retourne après sa défaite en Caroline du Nord. Bush arrive à la Convention avec une majorité de délégués. Sa désignation est une formalité. Il choisit pour son ticket Dick Cheney, ancien chef de cabinet de Ford à la Maison blanche puis secrétaire à la Défense, ministre donc, de Bush père au moment de la première guerre du Golfe. 

Une bataille politico-judiciaire sans précédent

Le démocrate Gore et le républicain Bush sont au coude à coude tout le long de la campagne. Les trois débats présidentiels d’octobre n’y changent rien. L’écologiste Ralph Nader, l’un des petits candidats comme il y en a toujours, attire l’attention et finira avec près de 3% des suffrages populaires le 7 novembre. Gore recueille quasi soixante millions de voix, Bush cinquante millions cinq cent mille. 

Mais pour la première fois depuis 1888 le vainqueur du vote populaire pourrait ne pas être celui des grands électeurs, donc le vainqueur final. Toute la question est de savoir qui gagne la Floride et ses 25 grands électeurs. S’ensuit un incroyable suspense à rebondissements dignes d’un polar. Et avec, la plus extravagante bataille politico-judiciaire de l’histoire des présidentielles, l’histoire des États-Unis, l’histoire de l’humanité. Elle mérite vraiment d’être rappelée. L’élection se joue selon le résultat en Floride. Celui qui y gagnera, gagnera le nombre de grands électeurs décisifs, donc la présidence. Mais le décompte des votes pose problème.

Dans quel sens va pencher la Floride ?

D’où le recours à la justice pour trancher. Et une incroyable succession de décisions judiciaires. Le 7 novembre, les chaînes de télévision annoncent la victoire de Gore à 19h15. À 22h, elles corrigent : impossible de départager les deux candidats. À 2h15 du matin, Fox News donne Bush vainqueur, mais le politologue qui l’affirme sur cette chaîne conservatrice est un cousin de Bush. Les autres chaînes de télé suivent. Gore appelle Bush pour concéder sa défaite, mais se reprend une heure après. À 4h15 du matin, les chaînes se rétractent à nouveau : impossible de savoir qui a gagné. 

Peu après, la Division des élections de Floride proclame Bush vainqueur par 1784 voix d’avance sur plus de 5 600 000. Gore demande le recomptage des bulletins à la main dans quatre comtés. Les doutes se répandent. Le 10 novembre, les bulletins sont recomptés à la machine. Bush n’a plus que 288 voix d’avance. 0,005 %. Le 16 novembre, la Cour suprême de Floride ordonne un recomptage manuel. Le 17, elle interdit toute proclamation des résultats avant la fin de ce recomptage. À Atlanta, la Cour d’appel fédérale lui donne raison. Le 21 novembre, la Cour suprême de Floride ordonne à l’unanimité d’intégrer les résultats des recomptages manuels. Le 22 novembre, Bush en appelle à la Cour suprême des États-Unis. Le 24 novembre, la Cour suprême accepte le recours. Contestations et suspense se prolongent.

Le 4 décembre, la Cour suprême des Etats-Unis suspend la décision d’autoriser les recours manuels. Le 12 décembre, elle estime par 5 voix contre 4, que la décision de la Cour suprême de Floride est inconstitutionnelle et annule donc le recomptage. 5 voix contre 4, les 3 conservateurs et les deux modérés contre les 4 progressistes. Bush est donc élu. Les grands électeurs n’auront plus qu’à ratifier. Gore l’admet.

"L’identité du perdant est parfaitement claire"

Le juge à la Cour suprême John Paul Stevens écrit des phrases terribles dans son opinion dissidente : "Nous ne connaîtrons peut-être jamais avec une complète certitude l'identité du vainqueur de cette élection présidentielle, mais l'identité du perdant est parfaitement claire. C'est la confiance de la Nation dans le Juge comme gardien impartial du règne du Droit. J'exprime respectueusement ma dissidence".

Et pourtant, les Américains sont tellement attachés à leur Constitution et à leurs institutions que la légitimité d’un président certainement minoritaire en voix et ne devant peut-être son élection qu’à une majorité de droite à la Cour suprême ne sera jamais contestée. 

Leçon n° 19 : La Cour suprême peut faire l’élection. En 2000, elle donne la victoire à Bush fils, arrêtant le recompte en Floride. En France, en cas de résultat extrêmement serré et d’irrégularités avérées, il appartiendrait au Conseil constitutionnel de donner le résultat définitif ou d’annuler l’élection.

Le choc du 11 septembre 2001

Revenons aux États-Unis. Des événements très lourds se produisent une fois George W. Bush installé à la Maison-Blanche. Avant tout, le 11-Septembre. Quatre attentats par le groupe islamiste radical Al-Qaïda, effondrement en direct et vu dans le monde entier des deux tours du World Trade Center à New York. Près de 3.000 morts. Jamais les États-Unis n’avaient subi pareils attentats. S’en suivit dès octobre le déclenchement de la guerre contre le terrorisme particulièrement contre les Talibans qui gouvernaient l’Afghanistan.

Selon la loi dite du ralliement au drapeau, la popularité de Bush s’envole. Mais le temps passant, et la guerre durant, elle fléchit. Les inexactitudes ou mensonges proférés pour justifier la guerre déclenchée en Irak début 2003 n’arrangent pas son image. L’élection de 2004 pourrait être disputée.

Kerry se détache côté démocrate

Elle l’est un temps pour le choix du candidat démocrate. Dès la fin de l’été 2003, un nouveau venu fait fureur, Howard Dean, gouverneur du Vermont. Il amasse beaucoup d’argent par des contributions individuels et, le premier dans l’histoire, mobilise massivement par Internet. En tête dans les sondages d’avant primaires, Dean est le favori. À sa droite, le général Wesley Clark se lance dans la bataille mais ne tient pas le choc des premiers débats. Le jeune sénateur de Caroline du Nord, John Edwards annonce sa candidature. 

Le sénateur du Massachusetts John Kerry rejoint la compétition. Riche par son grand-père maternel qui fit fortune en Chine, notamment par l’opium, familier de la France où, enfant, il passait souvent ses vacances, engagé au Vietnam d’où il revient opposé à la guerre, il connaît plusieurs échecs électoraux, devient procureur puis avocat, avant de revenir en politique. Dans le Massachusetts, il travaille avec le gouverneur Dukakis avant de se faire élire sénateur en 1984. Il acquiert une certaine notoriété en dénonçant les actions illégales menées contre le gouvernement du Nicaragua, puis celles en soutien au dictateur Noriega au Panama. En 2004, il pense l’heure venue pour gagner l’investiture démocrate puis la présidentielle.

Premier bon signe : contrairement aux attentes, le caucus de l’Iowa est un échec pour Dean qui ne recueille que 18% des voix, et un succès pour Kerry qui l’emporte avec 38%. Il gagne dans la foulée la primaire du New Hampshire. Et la plupart des suivantes, seul John Edwards obtenant quelques succès qui lui permettent de tenir un temps avant de renoncer. La Convention consacre donc John Kerry, qui prend Edwards comme candidat à la vice-présidence.

Une vidéo de Ben Laden booste la campagne de Bush

La campagne proprement dite commence. Elle est rude. Bush traite Kerry de "flip flopper", c’est-à-dire de girouette, et aussi d’hésitant en cas de danger, reprenant la rhétorique de son père face à Dukakis en 1988. Les coups bas pleuvent. Contre Bush, accusé de ne pas avoir rempli ses obligations dans la Garde nationale du Texas. Contre Kerry, dont les médailles obtenus dans la guerre du Vietnam sont contestées.

Les dépenses des candidats explosent. Tout compris, primaires, conventions, campagne, elles ont été évaluées à 449 millions de dollars en 1996, 650 millions en 2000, un milliard en 2004. Le 29 octobre, quatre jours avant l’élection, une vidéo de Ben Laden attaquant Bush est diffusée sur la chaîne al Jazeera. L’avance de Bush sur Kerry s'accroît aussitôt. Le 2 novembre, Bush l’emporte avec 50,7% des suffrages populaires contre 48,3% pour Kerry et 35 grands électeurs de plus.

Leçon n° 20. Un événement de dernière minute peut peser sur l’élection. En 2004, une vidéo de Ben Laden aide Bush à l’emporter de peu. Deux ans avant, en France, l’agression d’un retraité à Orléans, surmédiatisée, a pu jouer un rôle dans l’élimination au premier tour de Jospin au profit de Le Pen. 

Bush père n’avait pu se faire réélire en 1992. Bush fils y parvient en 2004. Mais qui lui succèdera ? Réponse dans le prochain épisode. 

 

 

"Mister President par Europe 1 Studio" est un podcast imaginé par Olivier Duhamel

Préparation : Capucine Patouillet
Réalisation : Christophe Daviaud (avec Matthieu Blaise)

Cheffe de projet édito : Fannie Rascle
Diffusion et édition : Clémence Olivier
Graphisme : Mikaël Reichardt
Archives : Patrimoine sonore d’Europe 1 avec Jean-Bernard Cadier (17 août 2000 et 2 août 2000), François Clemenceau (9 novembre 2000, interview de Phil Gordon au micro de Jean-Bernard Cadier (27 novembre 2000), Manuel Saint-Paul (11 septembre 2001)