13:50
  • Copié
SAISON 2019 - 2020

En 1992, un candidat inattendu remporte la présidentielle et empêche le populaire George H.W. Bush de briguer un second mandat. Quatre ans plus tard, et malgré les scandales, il transformera l'essai. Dans le neuvième épisode du podcast Mister President par Europe 1 Studio sur l'histoire des élections américaines, Olivier Duhamel revient sur l'arrivée au pouvoir du démocrate Bill Clinton. 

Après quatre années au pouvoir, George Herbert Walker Bush, le héros de la guerre du Pacifique, semblait imbattable pour la présidentielle de 1992. C'était sans compter l'émergence d'un candidat démocrate à la ligne politique centriste et dans l'air du temps : Bill Clinton. Dans le neuvième épisode du podcast Mister President par Europe 1 Studio, Olivier Duhamel revient sur les années "clintoniennes", aussi modérées que tourmentées.

Ce podcast est réalisé en partenariat avec l'Institut Montaigne

Vous voulez écouter les autres épisodes de ce podcast ?

>> Retrouvez-les sur notre site Europe1.fr,  sur Apple PodcastsGoogle PodcastsSoundCloud ou vos plateformes habituelles d’écoute.

Après les années 80, les années reaganiennes, voici le temps des années 90, les années clintoniennes. Dans cet épisode, deux élections : celle inattendue de 1992, celle davantage prévue de 1996. Au départ, George Herbert Walker Bush, le président sortant, le héros de la guerre du Pacifique, le patricien raisonnable semble imbattable. D’abord parce qu’un sortant est plus souvent réélu que l’inverse. Surtout parce qu’après la victoire éclatante de la coalition qu’il a conduite dans la Guerre du Golfe de 1991, sa popularité atteint des sommets, 89%. 

Les favoris démocrates ne se portent donc pas candidats, ni le très populaire gouverneur de l’État de New York, Mario Cuomo, ni le pasteur noir Jesse Jackson. Pas davantage Al Gore, dont le fils se remet difficilement d’un grave accident d’auto. Huit candidats moins connus se lancent dans la course, parmi lesquels cinq émergent au début Bob Kerrey, celui de l’Iowa Tom Harkin, l’ex-sénateur du Massachusetts Paul Tsongas et le gouverneur de l’Arkansas, Bill Clinton. 

L'ascension de Bill Clinton

De son nom de naissance, le 19 août 1946 à Hope dans l’Arizona, William Jefferson Blythe. Mais son géniteur est mort trois mois avant sa naissance. Sa mère partie faire des études d’infirmière à la Nouvelle-Orléans et l’a confiée, quatre ans durant, à ses parents. À son retour, elle épousa Robert Clinton, lequel a adopté le petit William, dit Bill. Après avoir envisagé une carrière de saxophoniste, il fit de brillantes études aux universités de Georgetown, Oxford, puis Yale où il rencontre et épouse Hillary. Ils ne se quitteront plus. Elle ne le quittera jamais.

Et pourtant Bill Clinton a failli devoir renoncer lorsqu’à la fin janvier une certaine Gennifer Flowers révèle à la presse qu’elle a eu une aventure avec lui. Clinton s’en sort, grâce à son épouse Hillary, qui apparaît à ses côtés dans la célèbre émission de télévision "Sixty minutes", "Soixante minutes".

Harkin remporte le première victoire, mais chez lui, dans l’Iowa. Tsongas gagne la deuxième, près de chez lui, dans le New Hampshire. Clinton y crée la surprise, en arrivant deuxième. Et attire l’attention en se baptisant "Come Back Kid" "Le gars qui revient". Chacun des candidats remporte une ou deux primaires ici où là. Jusqu’au Super Tuesday du 10 mars 1992, ce fameux jour souvent décisif car les primaires se déroulent simultanément dans un grand nombre d’États. Clinton en sort vainqueur. Son positionnement centriste avec sa ligne "New Democrat" correspond à l’air du temps. Mais le Californien Brown le rattrape, jusqu’à ce qu’il gaffe, juste avant la primaire capitale de New York. Il annonce que s’il est désigné, il prendra Jesse Jackson comme candidat à la vice-présidence. L’électorat juif n’apprécie pas, il soupçonne le pasteur d’antisémitisme. Clinton gagne massivement à New York, puis, de peu, dans le Wisconsin. Il enchaîne ensuite les victoires, Californie comprise. L’affaire est pliée. La Convention qui se tient début juillet à New York lui fait un triomphe dès le premier tour.

Des attaques sur la vie privée

Bill Clinton choisit Al Gore pour la vice-présidence. La campagne pour l’élection commence. George H.W. Bush n’a rencontré sur sa route que le droitier Pat Buchanan, chroniqueur à la télévision, qui le fragilise au début. Mais Bush le bat largement Buchanan dans toutes les primaires. Un troisième candidat vient perturber le bipartisme. Le milliardaire Ross Perot se présente comme indépendant sur une ligne protectionniste. Les premiers sondages lui sont très favorables.

En juin, il recueille 39% d’intentions de vote contre 31% pour Bush et 25% pour Clinton. Mais en juillet, il se retire de la course, expliquant que des républicains voulaient perturber le mariage de sa fille. Assez déconsidéré, il y revient en septembre. L’équipe républicaine s’en réjouit, pensant que cela va nuire surtout à Clinton. Perot participe aux trois débats présidentiels, ce qui lui permet de retrouver crédit et électeurs. Les interrogations et attaques sur la vie privée prennent une place inédite dans la campagne. Nous avons vu que très tôt Clinton avait été accusé d’adultère. En août, c’est Bush qui se trouve interpellé sur le sujet.

Les républicains mettent Clinton en cause sur ce que les Américains appellent le character issue, littéralement "le problème du caractère", autrement dit, la personne. Accusé d’avoir fumé de la marijuana, il répond qu’il a fait semblant, et n'a pas avalé. L’affaire Gennifer Flowers ressort. Il dénie avoir eu une liaison avec elle. Clinton continue de faire campagne sur le terrain économique. L’économie n’est pas en excellente santé, et Bush n’a pas respecté ses engagements de ne pas augmenter les impôts. Avec et au-delà de l’économie, Clinton a appliqué la stratégie dite de la triangulation, c’est-à-dire la reprise de thèmes des adversaires. Clinton rappelle qu’il est favorable à la peine de mort. Il se prononce pour des uniformes obligatoires dans les écoles publiques. Autre élément important dans la campagne, l’implication des stars. Surtout pour Clinton.

Malgré les attaques personnelles, Clinton l’emporte largement. Clinton 43%, Bush 37%, Perrot 19%. Les analyses de science politique montreront par la suite que Perot a pris autant de voix à Clinton qu’à Bush. Ce n’est pas l’existence d’un tiers candidat qui a fait l’élection. C’est la bonne campagne de Clinton, et la soif de renouveau chez les "baby boomers" qu’il incarnait.

Leçon n° 16 : Les attaques personnelles jouent un rôle important en campagne. Mais il est possible de les surmonter. Clinton l’a prouvé en se remettant des accusations d’adultère et en gagnant l’élection. En France, personne n’a cherché François Mitterrand en campagne sur sa double vie. 

Leçon n° 17 :  Un bon thème de campagne contribue à la victoire. "It’s the Economy stupid", en s’y tenant, Clinton bat Bush en 1992. Chirac fait de même en 1995 avec sa dénonciation de "la fracture sociale".

Clinton vs Dole

Élu en 1992, Clinton sera-t-il réélu en 1996 ? La croissance est bonne. Clinton a baissé les impôts pour les classes moyennes. Le pays se sent bien. Les républicains ont certes conquis la majorité dans les deux chambres, celle des Représentants et le Sénat. Mais les Américains s’accommodent volontiers de ce qu’ils appellent "divided government" : à l’un des deux partis l’exécutif, à l’autre le législatif. La réélection de Clinton semble assurée. Sa candidature n’est pas vraiment contestée, tous les caucus, toutes les primaires le désignent et la Convention démocrate ratifie cet unanimisme.

Il en va autrement chez les républicains. Plusieurs candidats potentiels renoncent donc d’emblée : le général Colin Powell, l’ancien secrétaire à la Défense Dick Cheney, l’ex secrétaire d’État, c’est-à-dire ministre des Affaires étrangères, James Baker. Malgré cela, d’autres se lancent en nombre dans la course à l’investiture. Comme toujours lors d’une présidentielle, les uns surestiment leurs chances, les autres se disent que c’est une bonne occasion pour se faire connaître, un surcroît de notoriété étant prometteur pour de futurs postes, et, qui sait, concourir avec plus de chances dans l’avenir. Trois candidats se détachent avant le début des primaires : le conservateur Pat Buchanan, l’inattendu directeur d’un magazine économique portant son nom, Forbes, et le sénateur du Kansas, leader de la majorité républicaine, Robert Dole. Buchanan remporte la primaire du New Hampshire à la surprise générale. Les modérés se regroupent alors derrière Bob Dole, qui élimine du coup ses rivaux avant d’être investi sans difficultés lors de la Convention républicaine à la mi-août. 

Dole est handicapé par son âge, 73 ans, face aux 50 ans du président sortant. Pour ne rien arranger, il fait une chute lors d’un meeting en Californie. L’équipe de Clinton n’attaque pas directement son adversaire sur l’âge. Plus subtilement, elle répand des slogans comme "Building bridges to the future", "Construire des ponts vers l’avenir". Clinton lui-même met en cause "des idées du passé ". Il décrit Dole comme un clone de Newt Gingrich, le très droitier et impopulaire leader républicain de la Chambre qui supprimerait des programmes sociaux tel le Medicare.

Clinton facilement réélu

Une autre controverse surgit dans la campagne, mettant en cause l’intervention illégale de l’ambassade de Chine dans la collecte de fonds pour la campagne de Clinton. Mais rien n’y fait. Clinton ne cesse de mener la course. L’indépendant Perot, à nouveau candidat, est écarté des débats et ne décolle pas. Dole ne parvient pas à rattraper son retard. Clinton est facilement réélu avec 49% des suffrages populaires, 40% pour Dole, 8% pour Perot. Le démocrate l’a emporté dans l’Ouest, la partie orientale du Mid-West, l’Est et la Floride ce qui lui donne les voix de 379 grands électeurs contre 159 au républicain Dole. Les années 90 ont ainsi commencé avec la présidence modérée du républicain George Bush père, elles vont s’achever avec la présidence modérée, quoiqu’un temps tourmentée, du démocrate Bill Clinton.

Quelle leçon nous pouvons tirer de la réélection de Clinton, ou plus précisément de la défaite de son rival Dole ?

Leçon n° 18 : L’âge peut être un handicap. Bob Dole, le challenger républicain de Clinton, l’a subi en 1996. De Gaulle ne subit guère cette critique en 1965, malgré des affichettes demandant si l’on confierait ses affaires à un grand-père de 75 ans. 

Au temps des modérés va succéder celui des dérèglements, comme nous allons le voir dans le neuvième épisode de l’extraordinaire histoire des présidentielles américaines.

 

 

"Mister President par Europe 1 Studio" est un podcast imaginé par Olivier Duhamel

Préparation : Capucine Patouillet
Réalisation : Christophe Daviaud (avec Matthieu Blaise)

Cheffe de projet édito : Fannie Rascle
Diffusion et édition : Clémence Olivier
Graphisme : Mikaël Reichardt
Archives : Patrimoine sonore d’Europe 1 avec Benoît Delaporte (28 janvier 1992, 14 juillet 1992, 19 février 1992, 17 mai 1992 et 12 août 1992), Pascale Clark (2 novembre 1992)