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Chaque dimanche, Hervé Gattegno, directeur de la rédaction du "Journal du dimanche", livre son édito sur Europe 1.

Bonjour Hervé Gattegno. Le président doit s’exprimer dans la semaine pour annoncer les décisions que lui ont inspirées le grand débat. Personne ne sait ce qu’il va dire ni même quand il va le dire. D’après vous, qu’est-ce qui se cache derrière cette ultra-confidentialité ?

C’est vrai que c’est extraordinaire au sens propre que rien n’ait fuité sur ce que le président va dire. D’habitude, il y a toujours quelques initiés qui distillent des confidences plus ou moins fiables, que tout le monde reprend – quitte d’ailleurs à se tromper. Et ça alimente la confusion. Là, on est à l’opposé. Ce que prépare Emmanuel Macron est encore plus secret qu’un trou noir dans l’espace, puisque la Nasa vient de réussir à en photographier un – alors que l’intervention d’Emmanuel Macron, même ses plus proches, même ses ministres jurent qu’ils ne savent rien.

Il y a deux explications possibles, qu’il faut sans doute combiner : la première, c’est qu’il veut ménager son effet, pour frapper les esprits ; la deuxième, c’est qu’il se gratte encore la tête pour savoir ce qu’il va annoncer. Quand on dit que personne ne sait rien de qu’Emmanuel Macron va dire, peut-être que ça inclut… Emmanuel Macron !

Vous iriez jusqu’à dire, comme certains le font, que c’est la suite de son quinquennat qui se joue cette semaine ?

Nos institutions sont solides, il n’est pas menacé dans sa fonction. Mais il a subi, avec la fronde des "gilets jaunes", une crise terrible, violente, inattendue, disproportionnée aussi parce qu’en réalité, la France est un pays infiniment moins inégalitaire qu’on le dit – et surtout beaucoup moins inégalitaire que les autres grandes démocraties. C’est aussi ce qui explique qu’Emmanuel Macron n’a rien vu venir, et qu’il a vécu ça comme une injustice. Dans cette crise, il a perdu de l’autorité, de la crédibilité, et sa politique a perdu de la lisibilité. Pour reprendre la main, il faut qu’il arrive à retrouver les trois.

L’autorité, c’est en cours – mais attention aux manifestations de samedi prochain, les casseurs en ont fait un rendez-vous. La crédibilité, ça s’améliore aussi – et l’attente qu’il a suscitée avant ses annonces y contribue, on le voit. Il reste la lisibilité de sa politique : là, je demande à voir.

Est-ce que vous pensez qu’il peut annoncer un vrai changement de politique, comme François Mitterrand l’avait fait en 1983 – on avait appelé ça "le tournant de la rigueur" ? 

On peut peut-être parler de tournant, je ne crois pas qu’on assistera à un virage. D’ailleurs ce serait un piège pour Emmanuel Macron : ceux qui veulent un changement de cap, ce sont ses opposants, pas ceux qui ont voté pour lui. S’il leur cède, il ne fera qu’affaiblir sa base – donc il ne le fera pas. Il peut évidemment faire des concessions, sur les 80 km/h (d’autant que c’est une mesure qui est imputée à son Premier ministre), ou sur la désindexation des petites retraites. Mais ça n’apparaîtra pas comme des reniements. Ce que ses partisans attendent de lui, c’est autre chose : c’est plus d’écoute, plus de clarté, qu’il sorte du "en-même-temps" auquel plus grand monde ne croit.

Qu’il choisisse une politique claire. Le problème, c’est qu’il ne pourra jamais satisfaire toutes les revendications individuelles et catégorielles qu’on a vu surgir avec les "gilets jaunes" puis dans le grand débat. Quoi qu’il annonce, ce ne sera jamais assez. Mendes-France disait : "gouverner c’est choisir", et Adolphe Thiers : "gouverner c’est prévoir". Aujourd’hui, il faut s’habituer à dire : "Gouverner c’est décevoir".