Les leçons d’histoire que nous donne Daniel Cordier, un des derniers compagnons de la Libération

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EDITO - Secrétaire de Jean Moulin, résistant, puis marchand d’art et historien, Daniel Cordier se livre dans un entretien au Monde, assez époustouflant.

De quoi est faite l’histoire de notre pays ? Peut-être est-il plus simple de se poser la question : par qui est-elle faite ? Nous sommes plongés ces jours-ci dans les commémorations. Le président se pique de délimiter les combats qui font l’Histoire de ceux qui ne la font pas, "entre les valeurs défendues par le colonel Beltrame, et ceux qui pensent que le summum de la lutte, c’est les 50 euros d’APL", polémique assurée. On ne se risquera pas à jouer l’arbitre des élégances. Pourtant voilà un homme dont on peut dire qu’il incarne notre histoire, même si d’autres bien sûr peuvent revendiquer leur part.

Pourquoi incarne-t-il notre histoire ? Daniel Cordier ne raconte que son destin singulier. Résistant Cordier ? Non, il préfère le terme de "Français libre", c’est dire si l’on peut être patriote sans être soldat d’aucun parti ou d’aucune armée. Pourquoi est-il parti à Londres rallier la France Libre de De Gaulle, lui le royaliste, élevé dans une famille d’extrême-droite admiratrice de Maurras ? Parce que le discours de Pétain appelant à "négocier" la paix avec les Allemands, était "insupportable", il en a à 97 ans encore, la gorge nouée. Qu’est-ce que la guerre lui a appris ? "J’étais parti tuer du boche, j’en suis revenu profondément européen". Daniel Cordier n’héroïse ni ses actions de résistance, "il faut être un peu fou pour faire certaines choses, De Gaulle l’était, ceux qui l’ont suivi aussi", pas plus qu’il n’élude avoir éprouvé empiriquement la bêtise d’avoir été antisémite. Pourquoi avoir tu son expérience de la résistance pendant tant d’années ? Parce qu’il n’avait pas envie de ressembler aux anciens combattants de son enfance, ceux de 14-18, mais qu’il a replongé dans cette histoire jusqu’à devenir historien, quand l’essentiel était en jeu, l’honneur de Jean Moulin. Etre en règle avec soi-même et avec la vérité, c’est ce qui fait de lui, dit il aujourd’hui, "un vieux monsieur très très heureux". "Alors qu’à 20 ans... la jeunesse c’est de pouvoir faire n’importe quoi", dit-il encore.

Il y a des leçons à écouter dans le témoignage de Daniel Cordier ? Son humilité, son optimisme, comme il fait du bien son optimisme ! "Aujourd’hui n’est pas pire qu’hier et même quand tout parait bouché, il peut rester un espoir", dit-il. Sa liberté surtout : celle d’un homme qui a vécu selon ses valeurs, affranchi de son héritage familial et culturel, capable de parler avec pudeur de son homosexualité, "parce qu’on fait ce qu’on veut de son corps, cela va avec l’idée de liberté". Il nous apprend qu’il n’y a pas d’engagement petit ou grand, sinon celui pour la liberté justement, qu’il faut faire ce qu’on attend de soi-même. Daniel Cordier n’a pas la prétention de faire l’histoire, parce qu’il n’avait pas pour dessein de la faire, mais l’histoire le retient, comme un Français libre. Oui il y des leçons à écouter de cet homme qui ne souhaite pas en donner.

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