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SAISON 2013 - 2014, modifié à

Bernard Squarcini revient les agitateurs qui ont hué François Hollande et le drame de Chateaurenard.

Bernard Squarcini, ancien directeur de la DCRI.

Ses principales déclarations :

Ces agitateurs sur les Champs-Elysées et à Oyonnax contre le président de la République… Est-ce que les services étaient renseignés ? Comment est-ce possible ?

« C'est le rôle de la direction du renseignement de la préfecture de police, qui gère tous les événements liés aux grandes institutions françaises et étrangères. Il y avait eu, avant-hier, le 14 juillet dernier, Oyonnax, il y a eu Châteaurenard... Aujourd'hui, ceci n'est pas acceptable. Utiliser un tel événement, exceptionnel... Le respect des morts de la Grande Guerre... C'est inacceptable. »

Et pourtant ça s'est produit.

« Ça s'est produit. Mais il y a eu un intervention très rapide des forces de l'ordre sur le chemin du défilé. »

Donc, elles le savaient.

« Je le présume ! »

Qui indique au pouvoir central l'ampleur de l'effervescence qui est en train d'agiter le pays ?

« Les préfets sont chargés d'établir une synthèse hebdomadaire qui remonte au secrétariat général. Et là, le ministre de l'Intérieur informe les ministères concernés des motifs de la grogne. »

Ce désordre public, n'a-t-il pas d'autre risque, d'autres conséquences ? Ne laisse-t-il pas le terrain à des cellules terroristes dormantes qui pourraient se réveiller et en profiter ?

« Tout d'abord, un excès de désordre appelle un excès d'ordre. Il y a beaucoup de forces mobiles, des escadrons de gendarmerie mobile et des CRS, qui sont mobilisées, employées à des tâches de maintien de l'ordre ou de prévention de trouble à l'ordre public. Toutes ces équipes ne sont pas sur le terrain d'ordre Vigipirate rouge, alors que, je le rappelle notre pays est très menacé. »

Il y a danger selon vous ?

« Il y a danger à utiliser et à détourner les forces de l'ordre de leurs missions premières, qui consistent à protéger le citoyen dans ses faits et gestes quotidiens. »

Ce sont des militants d'extrême-droite, seulement ?

 

« A priori, c'est ce qu'a dit le ministère de l'Intérieur hier. Mais d'après certaines informations il y aussi des gens normaux. Cela révèle encore une fois, même si ce dérapage n'est pas tolérable, qu'il y a une coupure entre le gouvernement et une partie des citoyens. Cela a été révélé par un député de l'Essonne, c'est aussi un problème de parti. »

Vous parlez de Malek Boutih.

« Par exemple. »

Faut-il intervenir plus sévèrement en Bretagne contre les casseurs de portiques ?

« Il y a beaucoup de casse : 45 portiques. Il y a eu trois interpellations... C'est bien, mais il y en eu 73 hier sur les Champs-Elysées. »

En 2007, c'est vous qui avez inspiré et réalisé la réforme des renseignements français. La DCRI est née de la fusion entre la DST et les RG. Vous aviez 3300 experts avec vous, le tout sous l'autorité directe du président de la République, Nicolas Sarkozy. Est-ce que c'était un instrument pour lui ? 

« Pas du tout. On relève d'abord du DG de la police nationale, du ministère de l'Intérieur, du Premier ministre. On a un contrôle très hiérarchique. In fine, et c'était aussi un aspect très positif de la réforme, la création d'un coordinateur national du renseignement, c'est-à-dire une boîte aux lettres de luxe à l'Elysée, où le renseignement était traité et évoqué en en direct auprès du président. »

En matière de renseignements, qui doit être le patron incontesté ?

« Le président, qui doit décider en termes politiques pour qu'in fine, toutes les évaluations lui parviennent. »

Le circuit doit être très court...

« Le circuit doit être court. Les expériences de ministre délégué ou de secrétaire d'Etat n'ont jamais fonctionné au ministère de l'Intérieur. »

Vous avez été remercié par Manuel Valls parce qu'il y avait cette proximité, vraie ou fausse, avec l'ancien président Sarkozy.

« Comme tous les directeurs du renseignement, ils sont tous grosso modo proches du président. Regardez aujourd'hui ! »

En combien de temps avez-vous été remercié ?

« 48 heures. »

Quelle est aujourd'hui la menace ? Qui est l'ennemi ?

« La menace repose essentiellement sur l'Islam radical sunnite, c'est-à-dire Al-Qaïda et ses filiales à travers le monde. Même s'il ne faut pas exclure le radicalisme chiite, avec le retour possible du Hezbollah. Aujourd'hui, nous avons la crainte particulière sur le territoire national, c'est la notion de loup solitaire. Egalement, les intérêts français à l'étranger, que ce soit un pavillon Air France, une ambassade ou un ressortissant. »

Quel est le niveau de la menace ?

« Il est très élevé, compte tenu de l'intervention militaire au Mali. Vous avez vu que 4 factions autonomes ont fait front commun face à l'intervention militaire. La France est visée et, malheureusement, l'assassinat des deux journalistes au Mali, même si on ne sait pas encore tout, ce sont des Français qui ont été visés. »

 

Il y a des individus qui menacent, dont ceux que vous appelez les loups solitaires, dont Merah. Je dois dire que vous avez fait l'objet de trois mises en examen, dont deux sont tombées. L'affaire Merah : la DCRI n'a-t-elle pas échoué ? Quel a été le dysfonctionnement majeur à Toulouse ?

« Il y a eu un problème d'évaluation bien sûr. Deuxièmement un problème de texte, puisqu'on ne peut pas interpeler les gens sans un texte juridique. Un texte juridique qui n'existe toujours pas, puisqu'on est sous le règne de l'association de malfaiteurs. Or, pour un individu solitaire, c'est un peu difficile. Enfin, il y a eu un problème de coordination entre les parquets de Paris, Toulouse et Montauban. Nous n'avons pas été associés à l'enquête judiciaire. »

Si on avait saisi la DCRI plus tôt, on ne réécrit pas l'histoire, aurait-on pu éviter la tuerie des écoles ?

« En ce domaine, éviter les choses, ce n'est pas évident, mais raccourcir les délais pour prévenir des actions, on le peut. Mais il y a eu un problème de coordination en termes judiciaires. »

Selon Manuel Valls, il y a une quinzaine de Merah identifiés mais pas neutralisés. Qu'est-ce qu'on attend, qu'ils passent à l'acte ?

« Là aussi, nous n'avons pas de texte juridique qui nous permette de traquer des individus solitaires. Donc, il faut attendre le passage à l'acte. Nous sommes sur un corpus juridique ancien, désuet, que ce soit au niveau des écoutes, sur les apprentis djihadistes, comme dans bien d'autres domaines. Il faut une nouvelle loi sur le renseignement en général. »

Pas seulement dans l'intérêt de ceux qui font ce travail.

« Il faut protéger ceux qui font ce métier tant qu'il y en a encore, parce qu'aujourd'hui la motivation est étroite. »

Mais il faut aussi penser à nous, les citoyens.

« Et il faut protéger surtout la sécurité des citoyens. »

La deuxième mise en examen, sur la violation du secret professionnel dans l'affaire Bettencourt, les fameuses fadettes. Vos services avaient écouté des journalistes.

« Absolument pas. Il n'y a jamais eu d'écoute de journalistes, et le premier chef d'accusation, qui était la violation du secret des correspondances, est tombé en premier, puisque une facturation détaillée, une donnée technique, n'est pas une correspondance. »

C'est-à-dire que la DCRI peut écouter les journalistes ?

« Absolument pas. J'étais dans ma mission, d'atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, puisque c'est un des articles de la loi de 1991 sur lesquels il y a une interprétation juridique, et c'est pour ça que le troisième chef de mise en examen, collecte illégale, est maintenu, mais l'article 20 a toujours été utilisé par d'autres services. »

C'est vrai que vous étiez persuadé que c'était une guerre entre droites à l'époque.

« On peut dire qu'il y a eu un problème droite-droite à l'époque et qu'on pouvait espérer changer de Premier ministre. »

Les révélations de l'espionnage américain a déclenché une tempête de protestation. Vous, vous choisissez l'ironie, vous dites que le scandale de la NSA est un non-événement.

« C'est un non-événement. Seul Snowden a révélé ça au niveau de l'opinion publique, mais ce n'est pas un scandale. »

Vous, vous saviez ? Les services savent ?

« Nous collaborons à 50% pour le contre-terrorisme avec les USA et bien d'autres pays. Mais pour le reste, il y a une opacité et chacun défend ses intérêts nationaux. »