Attentat de Tunis : "La démocratie tunisienne ne tiendra bon que si sa situation économique et sociale permet de tenir tête au fanatisme"

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Chaque samedi, François Clemenceau, rédacteur en chef au Journal du dimanche, revient sur un événement international.

Bonjour François, ce samedi vous voulez revenir sur l'attentat-suicide de Tunis perpétré par une jeune femme. Il se trouve que, hasard du calendrier, les Journées Cinématographiques de Carthage ce week-end vont beaucoup parler de terrorisme.

 

Oui, on a peu parlé de cet attentat pour la simple raison qu’il a fait peu de victimes, une vingtaine de personnes blessées en plus de la jeune terroriste qui s’est fait exploser devant des voitures de police avenue Bourguiba, en plein centre-ville. Sauf que cet attentat est une première. Jamais une femme n’avait perpétré d’attentat suicide en Tunisie, comme si les femmes, dans ce pays qui a tant fait pour la conquête de leurs droits, étaient épargnées par la tentation du djihadisme et du terrorisme.

Des femmes terroristes, même très jeunes, Daech en a formées beaucoup, Al-Qaida aussi, Boko Haram également en se servant de captives, retournées et piégées, le Hamas aussi en Palestine, mais en Tunisie jamais. La famille de la jeune femme ne comprend pas. Les parents sont des cultivateurs analphabètes qui ont dû vendre des oliviers pour acheter un ordinateur à la leur fille. Elle était brillante à l’école et même diplômée d’un master d’anglais. Mais à 30 ans, toujours pas de travail et pas de mari. L’enquête devra déterminer comment elle est passée de cet isolement à l’embrigadement au sein d’une cellule terroriste qui l’a poussé à se suicider dans un attentat spectaculaire.

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Ce n’est pas un hasard si le nombre de tunisiens candidats à l’immigration vers l’Europe via la Méditerranée a dramatiquement augmenté ces derniers mois

Cela faisait trois ans que la capitale n’avait pas connu d’acte terroriste. Et cet attentat pose donc des questions. L’Etat ou le gouvernement tunisien ne sont naturellement pas responsable des attentats qui visent leurs policiers ou les vacanciers qui viennent profiter du soleil tunisien, comme à Sousse il y a trois ans. L’état d’urgence devrait être reconduit une nouvelle fois la semaine prochaine alors que le procès des auteurs de l’attentat contre le musée du Bardo de 2015 reprendra au même moment. Mais on doit s’interroger sur le contexte qui conduit ses jeunes tunisiens à rejoindre les terroristes, par fanatisme, ignorance, oisiveté, ou désespoir, voir les quatre à la fois.

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Sept ans après la révolution de jasmin, le tourisme a enfin retrouvé son niveau d’avant 2011 mais le chômage est toujours très préoccupant

Il se trouve que ce week-end et toute cette semaine, les Journées cinématographiques de Carthage, l’un des festivals de cinéma les plus réputés dans le monde arabe, va mettre en compétition trois longs-métrages tunisiens. Deux d’entre eux, "Fatwa", et "Mon cher enfant" racontent une histoire de bascule dans le terrorisme, sur fond de pauvreté, d’exil ou de perte d’identité. Aucun n’est indulgent avec le terrorisme mais questionne les autorités sur la vitesse du changement social attendu dans le pays.

Sept ans après la révolution de jasmin, le tourisme a enfin retrouvé son niveau d’avant 2011 mais le chômage est toujours très préoccupant avec une jeune sur trois de moins de 25 ans sans activité. Et ce n’est pas un hasard si le nombre de tunisiens candidats à l’immigration vers l’Europe via la Méditerranée a dramatiquement augmenté ces derniers mois. La France et l’Europe sont en première ligne.

La démocratie tunisienne ne tiendra bon que si sa situation économique et sociale permet de tenir tête à tous les fanatismes. Et à condition aussi, peut-être, que la politique politicienne et les chamailleries de la guerre de succession pour le poste du président Essebsi laissent la place à une forme de cohésion nationale qui se batte sur l’essentiel.