"Alexandre Soljenitsyne n’était finalement pas si hostile que cela à ce que souhaitait instaurer Vladimir Poutine"

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Chaque samedi, François Clemenceau, rédacteur en chef au Journal du dimanche, revient sur un événement international.

Avec vous François Clemenceau, nous nous intéressons au grand écrivain russe Alexandre Soljenitsyne dont on célébrera mardi le centenaire de la naissance. L’occasion de se demander si, finalement, il n’était pas si éloigné des idées que défend Vladimir Poutine aujourd’hui ?

Ce qu’on oublie souvent avec Soljenitsyne, c’est qu’il n’a pas connu le goulag au pire des années 60 et 70, mais entre 45 et 53 alors qu’il servait l’armée rouge comme officier dans les tous derniers jours de la guerre. Il est arrêté par le NKVD et transféré à la Loubianka puis envoyé en camp de travail pendant huit ans avant de connaitre l’exil intérieur, la résidence surveillée d’où il ne pouvait théoriquement pas communiquer avec l’extérieur. Ce qu’il critique donc dans ses premiers livres qui ont franchi le rideau de fer, c’est d’abord le totalitarisme de Staline, puis le système communisme dans ce qu’il a de plus répressif. Mais ce qu’il ne faut pas oublier, c’est qu’il doit sa libération à Kroutchev et son retour en Russie à Gorbatchev. Tous les autres dirigeants soviétiques ont voulu sa mort ou son silence.

Vous faites bien de préciser "soviétiques", car le Kremlin, après la fin de l’URSS, a essayé de récupérer Soljenitsyne

Et d’autant plus facilement que l’ancien dissident devenu Prix Nobel de littérature, n’était pas si hostile que cela à ce que souhaitait instaurer Vladimir Poutine finalement : un pouvoir fort au service d’un nationalisme dur et de valeurs traditionnelles fortes. De ce point de vue-là, on s’aperçoit que Soljenitsyne collait à ce roman russe où l’on rêve de grandeur, de rayonnement, d’autorité, que ce soit celle de l’Eglise orthodoxe ou du l’Etat. Tout en critiquant l’Occident qui l’avait défendu et accueilli et qu’il soupçonnait d’une certaine forme de décadence. C’est ce russisme-là qui a facilité la vente de ses œuvres à son retour, des millions de livres vendus entre les années 90 et 2000 et même son enseignement à l’école. Sauf qu’aujourd’hui, sa trace s’est peu à peu effacée.

Pourquoi ? A cause de cette ambivalence ?

C’est clair que contrairement à d’autres grands dissidents comme Sakharov, Plioutch, Zinoviev, Charansky, Boukovski ou Ginsburg, il n’a pas été au bout de son combat. Il a cru, comme beaucoup dans la perestroïka, mais il a refusé de voir qu’après la parenthèse Eltsine, le pouvoir de Poutine continuait à réprimer toute opposition libérale et toutes les ONG russes de défense des droits de l’homme, comme l’association Mémorial que le Kremlin a essayé plusieurs fois de fermer et de confisquer les archives. En d’autres termes, Soljenitsyne sera davantage honoré mardi en Russie comme un écrivain que comme un dissident, comme un ami de la Russie éternelle que comme le pourfendeur d’un régime qui muselle ses opposants et assassine ses traitres. Il avait été célébré dans les années 70 par la gauche non-communiste, mais enterré il y a dix ans sous les louanges de l’extrême droite devenue le bras de Poutine dans les démocraties européennes.

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