Scandales, financement occulte, perte d'adhérents… Les temps sont durs pour les syndicats

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© CHRISTOPHE SIMON / AFP
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Romain David , modifié à
Alors que la démission contrainte de Pascal Pavageau plonge FO, troisième syndicat national, dans une grave crise, les invités de Wendy Bouchard, dans "Le Tour de la question" sur Europe 1, s’interrogent sur la lente érosion du syndicalisme français.
LE TOUR DE LA QUESTION

Visé par une polémique, Pascal Pavageau a préféré démissionner mercredi de la tête de Force ouvrière. Il faut dire que l'éphémère secrétaire général du troisième syndicat français n'avait plus guère le choix, après les révélations du Canard enchaîné sur un fichier interne listant plus de 120 cadres de l'organisation, à grand renfort de qualificatifs insultants et parfois diffamatoires sur leur vie privée. Pour les invités de Wendy Bouchard, jeudi dans Le Tour de la Question sur Europe 1, cette affaire met en lumière les difficultés d'un syndicalisme français miné, outre les scandales, par son financement, et une image souvent caricaturale.

Un financement dépendant de la puissance publique… et toujours opaque

Actuellement, les syndicats français vivent d'abord des financements publics, subventions de l'Etat et des collectivités territoriales, auxquels viennent notamment s'ajouter une contribution patronale et les cotisations des adhérents. Or, la baisse du nombre de personnes syndiquées depuis les années 1980 amoindrie de plus en plus cette dernière rentrée d'argent. En 2013, la DARES estimait à seulement 11% le taux de syndicalisation en France. "Quand il y a 11% d'adhérents, on travaille au quotidien pour 98% des salariés", commente dans Le Tour de la Question Joseph Thouvenel, le vice-président de la CFTC. "Les salariés nous demandent beaucoup, mais comme ils n'adhèrent pas, ils nous donnent peu de moyens. Du coup, il y a un problème de financement des syndicats qui ne tiennent que par des financements publics", résume ce syndicaliste. "La bonne solution serait de vivre des cotisations des adhérents, mais ce n'est pas le cas."

Or, la perte du nombre d'adhérents a pu pousser certaines organisations à s'alimenter via des circuits plus ou moins opaques. Le sujet est d'autant plus sensible qu'en 2011 un rapport parlementaire sur Les Mécanismes de financement des organisations syndicales d'employeurs et de salariés, piloté par l'ex-deputé de Loir-et-Cher Nicolas Perruchot, n'a jamais été officiellement rendu public - une première dans l'histoire de la Cinquième République - avant finalement de fuiter en partie dans la presse. "Les choses se sont améliorées, les organisations syndicales ont désormais l'obligation de publier leurs comptes […] c'est un grand pas en avant", plaide Joseph Thouvenel, qui s'en réfère à la loi du 20 août 2008. Il n'empêche, en janvier dernier, la Cour des comptes estimait dans une série d'observations – là encore non destinées à être publiées, mais révélées par Le Monde – que le financement des organisations patronales et syndicales restait "multiple et extrêmement épars".

>> De 9h à 11h, on fait le tour de la question avec Wendy Bouchard. Retrouvez le replay de l'émission ici

Une image abîmée

Poing levé, prêt à cesser le travail… l'image du syndicaliste, entichée de nombreux clichés, semble également de moins en moins valorisée dans l'opinion. Nous vous avons demandé sur la page Facebook d'Europe 1 si, selon vous, les syndicats sont utiles. Sur 3.600 votes jeudi à 11 heures, vous êtes 59% à avoir répondu "Non". "Le syndicalisme est utile, les syndicalistes d'aujourd'hui un peu moins !", a notamment commenté un internaute. "Les salariés sont 65 à 70 %, à chaque fois que l'on fait des sondages au moment du 1er-Mai, à dénoncer l'image des syndicats et à dire que ces organisations sont peu attractives en France", constate de son côté Nicolas Perruchot.

L'une des conséquences de cette réputation fortement détériorée est que les travailleurs ne croient plus aux syndicats pour défendre leurs droits. "L'adhésion ne protège pas, au contraire, elle met en danger lorsqu'elle est publique", pointe Leïla de Comarmond, journaliste aux Echos et auteur de Les 20 ans qui ont changé la CGT. "C'est l'une des raisons pour lesquelles, lorsque l'on fait de sondages, l'une des premières réponses [sur l'absence de syndicalisation,] est : le fait de risquer d'être stigmatisé".

Des scandales à répétition et des militants désabusés

La démission de Pascal Pavageau est la seconde, en trois ans, d'un leader d'une grande organisation syndicale en raison d'une polémique. On se souvient qu'en janvier 2015, Thierry Lepaon avait dû quitter le secrétariat général de la CGT, Le Canard enchaîné ayant révélé qu'il avait fait réaliser dans son appartement de fonction et son bureau des travaux pour plus de 160.000 euros, facturés aux syndicats.

Si le départ de Pascal Pavageau n'a rien à voir avec les deniers de l'organisation, il trahit les très fortes tensions qui peuvent agiter un même syndicat. "Quand vous arrivez dans une organisation, il est légitime de souhaiter la transformer, le problème c'est que la main de fer, les licenciements violents et la mise au placard ne sont pas des méthodes. Sans doute a-t-il payé tout cela", analyse Leïla de Comarmond. "On le sait, à l'intérieur de FO il y a à la fois des trotskistes, des progressistes et des anarchistes. On a vu, dès l'élection de Pascal Pavageau il y a un peu plus de six mois (à l'issue d'un congrès mouvementé à Lille, ndlr), qu'une partie de ceux-ci étaient complètement hostiles à ce qu'il voulait défendre. On imaginait bien qu'il se passerait quelque chose à un moment donné", glisse Nicolas Perruchot.

Ces luttes intestines, qui usent de méthodes peu reluisantes et dignes des Tontons flingueurs, mettent surtout à mal l'enthousiasme de la base militante. C'est un "sentiment mêlé de colère, de gâchis, de désarroi", qu'a ainsi voulu exprimer au micro du Tour de la Question Yves, un Savoyard adhérent à FO depuis plus de vingt ans, et qui espérait que Pascal Pavageau "secoue le cocotier. Pour autant, ce type de scandales trahit la fin d'une omerta. "Le fait qu'il y ait eu deux énormes affaires syndicales, [Lepaon et Pavageau, ndlr] on doit paradoxalement s'en féliciter", insiste Leïla de Comarmond. "Ça veut dire qu'il y a des lanceurs d'alerte dans les organisations syndicales. C'est un élément de démocratie", conclut-elle. Et donc le signe d'une évolution des mentalités.