Rungis : cinquante ans après son ouverture, comment se réinvente le plus grand marché de France

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Anne-Laure Jumet, édité par Romain David , modifié à
En février-mars 1969, le marché des halles quittait les pavillons Baltard, dans le centre de Paris, pour s'installer à Rungis. Cinquante ans plus tard, ce gigantesque marché de vente en gros a dû s'adapter aux évolutions du secteur alimentaire, comme la percée du bio ou la crise de la viande.
REPORTAGE

C'est une ville dans la ville, plus grande à elle seule que la principauté de Monaco, mais aussi que les 2ème et 3ème arrondissements de Paris réunis ! Au total, 234 hectares avec des noms de rue qui fleurent bon la nourriture : rue de de l'Aubrac, de la Bresse, du Gers, etc. À Rungis, plus grand marché de France, il faut se lever dès potron minet pour rencontrer les premiers vendeurs et acheteurs qui arrivent dès 1h30 du matin.

Des secteurs en crise. Mais dans les allées, le cinquantième anniversaire du "marché international" de Rungis n’est pas toujours prétexte à la réjouissance. Au pavillon de la viande, par exemple, les grossistes ressentent la baisse de la consommation, comme Jean-Michel, qui exerce ce métier depuis près de 40 ans. "On est obligé de s’adapter à ce que les gens mangent. Beaucoup de personnes mangent de la volaille parce que la viande devient cher", explique-t-il. "J’ai connu le haut, maintenant on connait le bas. À l’époque, on avait deux pavillons de viande, maintenant on n'en a plus qu’un seul et on a du mal à le remplir." Même chose au pavillon de la marée, où les ventes de poissons sont en baisse.

À l’inverse, certains secteurs se portent bien : les fromages, avec une progression de 8%, et les fruits et légumes en hausse de 3%. Ils représentent d'ailleurs 70% des arrivages de produits alimentaires à Rungis. Dans ce pavillon, c'est une explosion de couleurs et d'odeurs avec des fruits et légumes français, mais aussi du monde entier. On y trouve en ce moment des pêches en provenance d'Australie.

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Le pavillon des fruits et légumes, l'un des plus importants de Rungis. © Anne-Laure Jumet pour Europe 1

Ces produits viennent garnir les étals de France, mais pas seulement. "Tous les restaurants gastronomiques du monde entier s’approvisionnent à Rungis", explique Jérome Desmettre, grossiste à la tête de l'entreprise familiale. "Vous avez des sociétés qui achètent des produits qui sont expédiés par camions en Angleterre ou en Allemagne, mais aussi par avion si ça part à New York." Au total, l'export représente 10% des ventes réalisées à Rungis. Le premier client international reste Londres, ce qui suscite de vives inquiétudes face à l’imminence du Brexit.

L’explosion de l'agriculture biologique. Rungis a également dû s’adapter à la poussée du bio. Il y a un peu plus de trois ans, une halle bio est sortie de terre. Le secteur affiche des progressions importantes. "On est facilement entre 30 et 40% de progression par an. On va doubler notre surface", témoigne Yann Berson, qui dirige l'entreprise Dispéré. "Le problème du bio, ça n’est pas la clientèle, c’est plutôt la matière première sur certains produits. Sur les fruits et légumes, sur certains laits, il y a une vraie tension. On commence à avoir de vraies difficultés pour avoir de la matière." Au vu l'explosion de la demande, un deuxième pavillon bio va bientôt voir le jour, il sera entièrement consacré aux fruits et légumes.

Un lieu à part. Rungis est aussi un endroit qui a ses rites. Ici, aucun prix n’est affiché : les vendeurs ont gardé la tradition orale datant de l'époque des Halles. C’est aussi un lieu de convivialité : on se retrouve au café Le Saint Hubert, centre névralgique de Rungis, au pavillon de la volaille. Entre 1.500 et 2.500 cafés y sont bus en quelques heures. L'occasion de poursuivre les relations d'affaires au comptoir. "À Rungis c’est une institution : après les achats, en général, on y vient toujours se restaurer avec des collègues", assure un vendeur.

Les visiteurs peuvent aussi y déjeuner, comme dans la quinzaine de restaurants présents sur le marché de Rungis. Il faudra passer le péage - 20 euros tout de même - mais si vous y déjeunez une fois, vous aurez un pass gratuit pour la prochaine fois. Vous pouvez aussi participer à une visite guidée tôt le matin. Rungis accueille 25.000 curieux par an. En revanche, vous ne pourrez pas y faire de bonnes affaires, le marché reste réservé aux professionnels détenteurs d’une carte d’acheteur.

Un modèle qui s’exporte. Cinquante ans après son ouverture, Rungis se concentre sur deux axes de développement : le numérique, avec une place de marché sur Internet, réservée aux professionnels, et l’international. De nombreux pays ont en effet envie de développer un marché de gros similaire. Les Philippines, le Vietnam, le Kazakhstan, la Hongrie ou encore le Bénin sont intéressés par le modèle français.Pour ces pays, Rungis se fait maître d'ouvrage et apporte son expertise. On devrait donc voir émerger dans les années qui viennent des copies du plus grand marché de France dans d'autres pays du monde.