"Plombier polonais" : l’Europe prête à changer les règles

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SOCIAL - La Commission européenne veut réformer le statut de travailleur détaché, source de nombreuses polémiques.

Le "plombier polonais" ne se limite plus à la seule plomberie et cela commence à poser problème à de nombreux Etats européens. La Commission européenne a en effet décidé de rouvrir ce dossier en dévoilant mardi une proposition de réforme. Car le statut de travailleur détaché est devenu synonyme de dumping social dans de nombreux secteurs et fait l’objet de critiques de plus en plus véhémentes. Pour éviter sa disparition, une réforme s’impose mais elle ne sera pas aisée.

Qu’est-ce qu’un travailleur détaché ? Entré dans le langage commun sous le terme de "plombier polonais", un travailleur détaché est un employé européen envoyé par son entreprise dans un autre Etats de l’Union européenne pour y effectuer une mission d’une durée limitée. Ils étaient plus de 1,9 million en 2014, selon les chiffres de la Commission européenne. On les retrouve notamment dans le secteur agricole, les abattoirs, la construction ou encore les chantiers navals.

Ce système présente un double avantage. Il permet d’abord de palier au manque de main d’œuvre que connaissent certains Etats dans des secteurs en tension. Mais il permet aussi et surtout de disposer d’une main d’œuvre moins chère : si un travailleur détaché doit gagner le salaire minimum en vigueur dans le pays où il est envoyé, ses cotisations sociales sont en revanche celles de son pays d’origine. Et comme il s’agit le plus souvent d’Etats d’Europe de l’Est au système social moins protecteur, ces cotisations sociales sont alors bien moins élevées. Ainsi, alors que le taux de cotisations patronales avoisine les 49% en France, il n’est que de 22,67% en Pologne et de 28,45% en Roumanie selon le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale.

Pourquoi ce système fait-il polémique ? Si le statut de travailleur détaché a permis de favoriser la mobilité professionnelle et de pallier à des pénuries de main d’œuvre, il a aussi généré de nombreux effets pervers. Car les travailleurs détachés sont souvent considérés comme une main d’œuvre au rabais qui représente une concurrence déloyale vis-à-vis des travailleurs nationaux. Si une telle situation passe déjà mal dans les Etats où le taux de chômage est élevé, elle devient explosive lorsque ces travailleurs détachés prennent la place d’employés et d’artisans français. C’est notamment le cas dans la construction et les BTP, où un nombre croissant d’entreprises perdent des chantiers au profit de sociétés étrangères envoyant des travailleurs détachés. Certaines entreprises vont même jusqu’à ne pas les déclarer.

Lorsqu’il ne compense pas un manque de main d’œuvre reconnu, le travailleur détaché devient donc le meilleur moyen de pratiquer un dumping social et peut fragiliser certains secteurs. Ce qui peut en outre générer un cercle vicieux, comme c’est le cas dans le bâtiment où de nombreux maçons délaissent le statut d’artisan ou d’entrepreneur pour devenir auto-entrepreneur dans le seul but de payer moins de charges. Résultat, l’entreprise classique fait désormais face à une double concurrence qu’elle considère comme déloyale.

Quelles modifications l’UE propose-t-elle ? Dans une Europe gagnée par le populisme et la tentation du repli sur soi, le travailleur détaché est donc devenu un objet de polémiques et la cible de nombreux partis politiques. Ce qui a contraint la Commission européenne à réagir. Cette dernière a annoncé mardi le début d’une consultation pour définir un "socle européen des droits sociaux" afin de garantir "l'équité des marchés du travail et des systèmes sociaux au sein de la zone euro".

Dit autrement, l’Europe veut réduire l’écart de coûts entre un travailleur détaché et son homologue local. Pour y arriver, elle souhaite que les travailleurs détachés ne bénéficient plus seulement de la rémunération minimum du pays où ils sont envoyés, mais aussi des avantages qui vont avec : les primes, bonus, indemnités et autres avantages. En clair, l’UE veut rétablir un principe simple : à travail égal, salaire égal. En outre, la Commission propose de limiter à deux ans les missions des travailleurs détachés. Au-delà, les salariés seront considérés à 100% comme des "locaux".

Une telle réforme peut-elle vraiment changer la donne ? Si de nombreux observateurs se sont réjouis que la Commission européenne s’empare enfin de ce dossier, ils soulignent aussi les lacunes de cette feuille de route. Et notamment le fait que les cotisations sociales d’un travailleur détaché resteraient celles de son pays d’origine. Plus qu’une révolution, la réforme proposée par l’Europe est donc un ajustement qui risque d’être d’autant plus limité que les écarts de salaires ne cessent d’augmenter au sein de l’Europe.

Et comme si cela ne suffisait pas, il n’est pas sûr que les Européens arrivent à se mettre d’accord. Car les Etats sont très divisés sur le sujet : d’un côté, la France, l’Allemagne et les pays les plus riches (Autriche, Belgique, Luxembourg, Suède et Pays-Bas) militent pour mettre fin à cette forme de concurrence déloyale, tandis que les pays de l’Est y tiennent. Trouver une majorité pour faire passer une telle réforme ne sera pas aisé.

>> Retrouvez, sur le même sujet, la chronique de Nicolas Barré :


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COMBIEN DE TRAVAILLEURS DÉTACHÉS EN EUROPE ?

Selon la Commission, plus de 1,9 million de salariés étaient dans cette situation dans l'UE en 2014, ce qui représente 0,7% de la population active. Leur nombre est en nette augmentation: il a progressé de 44% entre 2010 et 2014, et "il devrait augmenter dans les années à venir, si l'économie redémarre", prévient la commissaire européenne à l'Emploi, Marianne Thyssen.

Les Etats où ils sont les plus nombreux sont sans surprise ceux où le niveau de vie et le coût du travail sont les plus élevés : l'Allemagne en dénombrait un peu plus de 400.000 en 2014, la France un peu moins de 200.000 et de la Belgique environ 160.000. En sens inverse, les principaux pays d'origine sont la Pologne (428.000 personnes en 2014), l'Allemagne (255.000 personnes) et... la France, avec 125.000 travailleurs hexagonaux détachés.