Ce que Macron doit faire pour changer la France : les conseils de cinq économistes

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Emmanuel Macron a devant lui de nombreux chantiers économiques. © AFP / Montage Europe 1
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Clément Lesaffre , modifié à
Avant l’investiture d’Emmanuel Macron, cinq économistes font part de leur priorité pour dynamiser la France au nouveau président de la République.

Dimanche, Emmanuel Macron sera officiellement investi président de la République. Dans la foulée il composera son gouvernement et devrait porter une attention particulière au locataire de Bercy, lui qui a été ministre de l’Économie pendant deux ans. Emmanuel Macron récupère une France débarrassée de la crise mais toujours à la traîne, avec un chômage à près de 10% et une croissance amorphe. Europe1.fr a demandé à cinq économistes de spécialités et de sensibilités différentes leurs conseils pour relancer l’économie française.

Christopher Dembik, chef économiste de Saxo Banque

>> Son conseil, "relancer la productivité en misant sur la formation"

"Il faut relancer la productivité. Dans la plupart des pays développés, la productivité stagne ou baisse. On se focalise sur la compétitivité, la relance à long terme. Mais pour relancer la croissance rapidement, c’est sur la productivité qu’il faut miser. Le problème est qu’elle est aujourd’hui plus faible qu’il y a 30-40 ans, probablement car on innove moins.

Pour compenser, il est essentiel de mieux former les actifs. Aujourd’hui, on injecte des moyens suffisants dans la formation professionnelle mais ils sont mal orientés. Il faut miser sur les nouvelles technologies, le numérique (big data, ingénierie informatique…) mais aussi sur des secteurs traditionnels de l’industrie où on manque de main d’œuvre. Par exemple, nous avons grand besoin de soudeurs. Ce plan de formation ne fonctionnera que si on donne plus de pouvoirs aux régions car ce sont elles qui connaissent mieux les besoins de l’emploi local. Pour en connaître quelques-uns, croyez-moi, les présidents de région sont les meilleurs VRP des entreprises.

Enfin, il convient de commencer dès l’école en favorisant l’apprentissage. Une réforme de l’université est également nécessaire. Les diplômes du supérieur donnent moins accès aux emplois qu’avant. Il faut confronter l’éducation supérieure aux besoins réels de l’économie. Cela peut passer par une sélection à l’entrée de l’université et, en amont, une meilleure orientation des jeunes."

Henri Sterdyniak, économiste à l’OFCE, membre des économistes atterrés

>> Son conseil, "prendre une longueur d’avance dans la transition écologique"

"La France a plusieurs problèmes, liés à son appartenance à une zone euro où la demande est insuffisante. Une des priorités est donc de sortir de carcan en obtenant une remise en cause du pacte budgétaire et un plan de l’Europe pour la transition écologique.

En France, cela passe par de grands travaux comme la rénovation de logements anciens, la modernisation des équipements, etc. La transition écologique permettra de créer beaucoup d’emplois. En plus, si on fait attention, ces emplois ne seront pas délocalisables : construire des logements sociaux économes en énergie en France ne peut pas se faire ailleurs.

La France doit prendre une longueur d’avance dans les techniques compatibles avec la production durable. C’est un problème industriel. L’État doit soutenir une industrie responsable en apportant des fonds propres et en soutenant l’investissement. Si on se lance maintenant, on sera en mesure de créer des champions des produits éco-compatibles et du développement économique durable. Les équipes des ministères concernés devront être pleinement mobilisées sur ce sujet."

Philippe Waechter, directeur des études économiques chez Natixis Asset Management

>> Son conseil, "accélérer l’investissement public"

"L’économie française est ouverte, globalisée, elle subit des chocs et souffre d’une croissance faible. La question est de savoir comment faire pour adapter notre économie à la mondialisation et aux nouvelles technologies ? La réponse passe par plus d’investissement public pour booster l’investissement privé. En 2007-2008, les pays industrialisés ont coupé les dépenses publiques pour résister à la crise et c’est un des facteurs qui explique la croissance plus faible qu’avant actuellement. Le contexte est favorable, avec des taux d’intérêt très bas, il faut en profiter.

On doit faire un effort d’investissement public pour inciter les entreprises, encore marquées par l’incertitude des dernières années, à se lancer. L’État est le seul acteur qui peut s’engager dans la durée et dans des projets non-rentables. Bien sûr, il ne faut pas dépenser n’importe comment : cela passe par l’éducation, la formation professionnelle, le numérique, la santé, etc. Le but est de lancer un mouvement dont les Français prendront le relais une fois qu’ils auront la confiance nécessaire pour prendre des risques.

Un exemple concret, c’est l’aménagement du territoire. L’État doit investir pour faire en sorte que tout le monde puisse être connecté n’importe où en France. Réduire les fractures territoriales est essentiel pour libérer l’économie et la capacité des citoyens à s’investir dans leur travail. On ne créera plus de grandes usines comme il y a 50 ans. Mais on peut redynamiser le territoire en le désenclavant, notamment avec la fibre."

Nadine Levratto, directrice de recherche au CNRS

>> Son conseil, "mieux contrôler les aides aux entreprises"

"Aujourd’hui, il existe une multitude d’aides aux entreprises. La plus importante, le CICE, représente, en vitesse de croisière, environ 20 milliards d’euros par an. Mais les entreprises et ceux qui évaluent ces dispositifs de soutien s’accordent pour dire qu’il faut rationaliser et simplifier le système actuel. Cela passe d’abord par une conditionnalité revue des aides.

Plusieurs observateurs ont mis en évidence l’existence d’effets d’aubaine concernant les aides. Par exemple, une entreprise qui déclare embaucher grâce au CICE mais qui embauchait déjà avant. Dans son programme, Emmanuel Macron revendique un droit à l’erreur pour les entreprises. Je crois, au contraire, qu’il faut accentuer les contrôles sur l’emploi de ces subventions qui représentent des dépenses conséquentes pour l’État. Les aides doivent être utilisées efficacement et à bon escient.

Pour cela, il faut mieux cibler les entreprises bénéficiaires en privilégiant les secteurs et les marchés soumis à la concurrence internationale, là où notre compétitivité est en danger. Il faut continuer à prioriser le soutien aux embauches (certaines entreprises qui touchent le CICE détruisent des emplois) et à la recherche. Puis, en aval, il faut effectuer une véritable évaluation de l’efficacité des subventions versées, en passant par une inspection du travail et une administration fiscale aux pouvoirs étendus. C’est indispensable pour éviter le gaspillage, encourager l’innovation et accélérer les embauches."

Nicolas Bouzou, directeur de la société d'analyse économique Asterès

>> Son conseil, "apporter plus de flexibilité au marché du travail"

Je vois trois sujets urgents. D’abord apporter plus de flexibilité au marché du travail. Pour faciliter les procédures administratives des entreprises, il faut graver les conditions de licenciement des CDI dans la loi. Ensuite, on doit fusionner les différents allègements de charges des entreprises dans un but de simplification. Enfin, il faut réformer la formation professionnelle. On remet un peu d’argent et on fait en sorte qu’elle soit plus accessible, notamment aux demandeurs d’emploi, avec un compte personnel de formation étendu.

Deuxième priorité, la fiscalité du capital. Elle a considérablement augmenté avec François Hollande. La France connaît une situation de mutation technologique majeure et pour répondre à ces défis, les entreprises doivent investir. Or, pour les Français, placer son épargne dans le capital est rendu peu intéressant. Tout part dans l’assurance-vie et le livret A et donc la construction de logements sociaux. Il faut baisser la fiscalité du capital, notamment des produits en actions, pour que les Français aient de nouveau envie de soutenir financièrement les entreprises.

Troisième problème, plus sur le long terme, mais essentiel : la zone euro. Elle ne fonctionne pas à cause du manque d’intégration budgétaire. Nos partenaires, y compris l’Allemagne, s’en rendent compte. Pour sauver l’euro, il faut un budget et un Parlement de la zone euro, distinct du Parlement européen. Pour faire accepter cette idée, il faudra négocier. L’élection d’Emmanuel Macron donne  à la France un surplus de crédibilité, profitons-en.