La France nouvelle Silicon Valley, vraiment ?

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Axelle Lemaire, secrétaire d'Etat au numérique © TIMOTHY A. CLARY / AFP
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"J'ai l'impression de voir la Silicon Valley en France", a déclaré sur Europe 1 le patron du géant US Cisco, qui double ses investissements dans l'Hexagone.

"Je crois en ce pays. Je pense que la France, c'est l'avenir", s'est enthousiasmé jeudi John Chambers, le patron de Cisco, géant du web américain, invité d'Europe 1. Le numéro un mondial des réseaux internet vient d'annoncer qu'il doublait ses investissements mobilisés pour les start-up françaises. Et il n'hésite pas à se lancer dans une dithyrambique déclaration d'amour pour la France.

"La France est sur le point de se transformer en profondeur. Nous comprenons les tendances de marchés. On nous a suivis lorsque nous sommes allés en Inde ou en Chine. Et je pense que la France, c'est l'avenir. J'ai rencontré beaucoup d'entrepreneurs. J'ai l'impression de voir la Silicon Valley", assure carrément le dirigeant. John Chambers n'hésite pas non plus à saluer l'action du gouvernement français : "le gouvernement français a compris ce qu'il se passait il y a un an. Il nous a frappés que les décideurs politiques de la France comprennent mieux que tout autre la révolution numérique qui est en marche".

>> Mais John Chambers n'en fait-il pas un peu trop ? Peut-être pas…

Paris, capitale européenne des start-up. Et son analyse est partagée par beaucoup. "Clairement, il se passe quelque chose en France", renchérit pour sa part Jérôme Lecat, patron de Scality, une start-up franco-américaine à la croissance à trois chiffres. "La France est une vraie Silicon Valley. Et je suis heureux que notre point de vue soit enfin repris par les investisseurs étrangers !", ajoute Gui Mamou-Mani, président du principal syndicat français de professionnels de l'industrie du numérique, le Syntec.

Ce qui motive tant le patron de Cisco, c'est la facilité à trouver des entreprises innovantes. Paris est sa banlieue recensent pas moins de 12.000 start-up, ce qui en fait la première capitale européenne. Le Sentier, un quartier du deuxième arrondissement de Paris riche en start-up, est d'ailleurs déjà surnommé "Silicon Sentier" par certains observateurs. La France est même en tête du "Techno Fast 500", un classement international des start-up technologiques à plus forte croissance : en 2014, 86 entreprises françaises étaient recensées dans les 500 premières, et 20 dans le Top 100. Certaines, comme BlaBlaCar (covoiturage) ou Criteo (ciblage publicitaire) sont déjà mondialement connues.

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Fiscalité/enseignement : le "couple gagnant". Les raisons de ce succès grandissant sont connues. D'une part, le "couple gagnant" (dixit Gui Mamou-Mani) formation universitaire+ fiscalité. Aujourd'hui, la plupart des grandes écoles de commerce offrent une formation pour créer sa start-up. En outre, l'Epita, Pierre&Marie Curie ou encore polytechnique fournissent aux entrepreneurs une source féconde de "cerveaux". Quant au crédit impôt recherche, il est une niche à protéger absolument, selon les professionnels du secteur.

Les financements arrivent peu à peu. A ce "couple gagnant" s'ajoutent des possibilités de financement en pleine expansion. Le lancement en 2013 de la Banque publique d'investissement (BPI), qui consacre près de 10 milliards d'euros au financement ou à la garantie de financement des start-up, est "un tournant", selon Jérôme Lecat. En outre, très frileux au départ, les investisseurs privés commencent à s'intéresser au jeunes pousses des technologies françaises. Le baromètre 2015 des investissements des "business angels", ceux qui financent les start up, fait état d'un boom de 50% des investissements privés par rapport à 2014. "On sent une curiosité nouvelle. Les investisseurs viennent en France, au moins voir ce qu'il se passe. L'un d'eux me le disait récemment : tes équipes travaillent comme dans la Silicon Valley", raconte le patron de Scality.

"Plus de problème" de droit du travail. Autre élément majeur d'ailleurs : le droit du travail, qui a évolué dans le bon sens, poursuit Jérôme Lecat. Selon lui, deux mesures majeures, l'une votée par la droite, l'autre par la gauche, ont contribué à oter le caractère repoussoir du droit français : "la création de la 'rupture conventionnelle' en 2008 et la mise en place des Accord de maintien de l'emploi en 2013". L'une facilite les ruptures à l'amiable entre employeur et employé, l'autre permet d'adapter le temps de travail aux difficultés d'une entreprise. "Je n'ai plus de problème avec le droit du travail français", insiste Jérôme Lecat, pourtant très critique sur le sujet à une époque.

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© PATRICK KOVARIK / AFP

Le gouvernement met la gomme. Dernier élément explicatif d'une naissance de la "Silicon Valley" à la Française : le tissu de "pépinières", de colloques, séminaires et autres opérations de communication qui s'étoffe en France autour des start-up. Ce tissu permet notamment aux neo et anciens entrepreneurs de se rencontrer, de partager leurs expériences et leur savoir-faire. Et le gouvernement n'y est, il faut le reconnaître, pas pour rien. Le "couple" Emmanuel Macron (Economie) et Axelle Lemaire (numérique) n'économise pas sa salive pour faire la promotion des bébés innovation français, à travers le label "French tech" par exemple.

"Comme en janvier dernier, au Consumer Electronics Show de Las Vegas. Transformés en super VRP des technos made in France, Emmanuel Macron et sa secrétaire d'Etat au numérique ont embarqué 120 entreprises - la plus grosse délégation - rassemblées sous un même pavillon arborant un coq rouge géant", raconte par exemple le site du magazine Capital.

Encore du progrès à faire… et des risques. La France a-t-elle donc toutes les armes en main pour rivaliser avec les géants du web californien ? Pas tout à fait, regrettent encore certains. Les financeurs privés restent pour le moment limités. Si les success-story comme Blablacar, Criteo ou même Scality parviennent à lever des dizaines voire centaines de millions d'euros, les marchés sont encore timides. La France n'entre même pas dans le top 10 des pays qui attirent le plus les investisseurs vers les start-up. La méfiance persistante, chez certains, envers le droit du travail et la fiscalité tricolore ou encore le manque de spécialistes des nouvelles technologies made in France expliquent en partie le phénomène, qui est toutefois en passe de se corriger.

Mais il existe aussi encore certains réels blocages propres à l'écosystème français. "Les allègements de fiscalité ne se font que sur les petits salaires, ce qui n'attire pas les salariés de ce secteur. Les budgets de formation des entreprises sont mal orientés, les écoles françaises manquent de financements. Et surtout : certains politiques nous mettent encore des bâtons dans les roues : il y en a encore qui pensent que le crédit impôt recherche est une niche 'abusive'", déplore Gui Mamou-Mani, qui conclut : "la France est déjà une vraie Silicon Valley. Mais il y a encore du progrès… et un risque de retour en arrière".