Faut-il s'inquiéter de l'explosion du bitcoin ?

Le bitcoin fait le yo-yo en Bourse et inquiète les observateurs.
Le bitcoin fait le yo-yo en Bourse et inquiète les observateurs. © ROSLAN RAHMAN / AFP
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Alors que le bitcoin explose les records en Bourse, l’Autorité de régulation européenne tire la sonnette d’alarme sur les risques, biens réels eux, des monnaies virtuelles.

Le bitcoin est-il devenu fou ? Depuis quelques semaines, cette monnaie virtuelle qui sert dans des transactions en ligne ou en tant que placement financier, fait les montagnes russes en Bourse. Très peu voire pas du tout régulées, garantissant l’anonymat le plus total, les monnaies virtuelles étaient surtout utilisées à l’origine par des internautes peu scrupuleux dans des transactions illégales, notamment la vente et l’achat de drogue.

Cet emploi subsiste mais depuis la création du bitcoin en 2009, les cryptomonnaies, le nom savant des monnaies virtuelles comme le bitcoin, se sont rachetées une conduite et ont acquis un statut de valeur refuge, à l’image de l’or, tant leur avenir semble assuré. Sauf que derrière le bitcoin, il n’y a parfois que du vide, de quoi inquiéter les régulateurs. Faut-il craindre une bulle ? Réponse avec Jacques Favier, coauteur avec Adli Takkal Bataille de Bitcoin, la monnaie acéphale, aux éditions du CNRS.

Le bitcoin a-t-il réellement explosé en Bourse ?

Le bitcoin semble actuellement lancé dans un rollercoaster vertigineux où les loopings s’enchaînent sans répit. En 2016, le cours de la plus connue des monnaies virtuelles a grimpé sûrement, passant de 400 à 1.000 dollars en un an. "Une hausse exponentielle mais logique au vu de l’expansion du réseau d’utilisateurs", précise Jacques Favier, pour Europe1.fr. Stabilisée jusqu’en mai, la valeur du bitcoin a connu une première brusque hausse juste avant l’été, atteignant les 2.900 dollars début juin. Puis, première descente, de nouveau sous les 2.000 dollars mi-juillet, avant de repartir de plus belle jusqu’à 4.800 dollars début septembre. Le bitcoin rechute ensuite à 3.400 dollars en deux semaines.

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Le plus fou reste à venir : le 8 novembre, la monnaie numérique frappée d’un B explose son record et tutoie les 7.900 dollars… avant de perdre un tiers de sa valeur en quatre jours. Et ce n’est toujours pas fini : lundi 13 novembre, le bitcoin gagne 1.000 dollars en une journée ! Mardi, il valait autour de 6.500 dollars (5.500 euros). Mais jusqu’à quand ?

Peut-on parler de bulle du bitcoin ?

Jacques Favier distingue trois raisons à la hausse brutale du cours en Bourse. "Un : les investisseurs anticipent maintenant une augmentation de l’intérêt futur pour le bitcoin. Deux : les monnaies virtuelles copiées sur le bitcoin finissent toujours par retomber dessus, comme beaucoup de monnaies avec le dollar, ce qui renforce son statut dominant. Trois : les levées de fonds en cryptomonnaies ont explosé, pour le meilleur et souvent pour le pire." C’est pourquoi on parle à droite et à gauche de bulle du bitcoin, car les envolées du cours ne correspondent pas toujours à une augmentation de la valeur du bitcoin en tant que tel.

" Beaucoup de ces monnaies n'ont pas de valeur intrinsèque "

Toutefois, pour Jacques Favier, le terme de bulle n’est pas forcément le plus adapté. "Si on considère le bitcoin comme une monnaie, alors clairement sa volatilité est anormale et inexplicable. Mais si on le considère comme un objet numérique de rupture, ce qu’il est, finalement ses évolutions brusques ne sont pas sans rappeler celles des débuts de Google, Facebook, etc.", tempère le spécialiste des monnaies virtuelles. Là où la tendance actuelle du bitcoin rappelle celle d’une bulle, c’est dans la constitution des investisseurs. "Ce ne sont pas les utilisateurs du bitcoin qui spéculent en ce moment, ce sont des fonds qui ont flairé le bon filon", assure Jacques Favier.

Que disent les autorités de régulation ?

Quoi qu’il en soit, cette folle cavalcade a attiré l’attention de l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF). Lundi, le gendarme des transactions financières a mis en garde les investisseurs contre les "Initial Coin Offerings" (ICO), les levées de fonds en cryptomonnaies. "Les ICO sont des investissements extrêmement risqués et hautement spéculatifs", avertit l’AEMF. "Beaucoup de ces monnaies n'ont pas de valeur intrinsèque autre que leur utilisation pour avoir accès ou recours à un service/produit", précise-t-elle. Le bitcoin pèse pour la moitié des monnaies virtuelles, soit un peu moins de 100 milliards de dollars, une somme faramineuse en cas d'explosion de la bulle.

"L’AEMF est dans son rôle avec cet avertissement. En revanche, on peut s’étonner du temps qu’il lui a fallu pour donner l’alerte", s’interroge Jacques Favier. "Un certain nombre de régulateurs ont trop écouté les promoteurs du blockchain, la technologie qui fait tourner le bitcoin et qui a longtemps été l’aspect le plus intéressant des monnaies virtuelles. Résultat, ils se rendent compte un peu tard que n’importe qui peut aujourd’hui proposer des ICO, avec beaucoup d’arnaques au bout. Le tout en dehors de toutes les lois", pointe le spécialiste du bitcoin.

Quel est le danger actuellement ?

C’est bien là le problème : "le bitcoin est une monnaie indépendante des États et des banques mais qui sert bel et bien comme système de paiement", explique Jacques Favier. Il n'existe aucun cadre réglementaire. Les paiements sont anonymes et les délits d'initiés sont fréquents. Le bitcoin est par ailleurs, dans sa forme actuelle, vulnérable au vol ou toute autre opération frauduleuse. L’AEMF prévient donc les investisseurs qu’en cas d’arnaque, ils ne pourront pas se tourner vers elle pour demander de l’aide car la plupart des monnaies virtuelles "ne relèvent pas du champ d'application des lois et régulations européennes".

" N'investissez que ce que vous êtes prêts à perdre "

Or, contrairement à l’image technique du bitcoin, il ne s’agit pas d’un investissement réservé aux connaisseurs. N’importe qui peut aujourd’hui échanger quelques dizaines d’euros contre des bitcoins. A la Maison du Bitcoin, une boutique qui a pignon sur rue en plein Paris, les clients défilent tout au long de la journée, parfois de simples curieux qui n’y connaissent pas grand-chose mais veulent essayer. Pour eux, le bitcoin est un placement comme un autre. Cette nouvelle popularité s’observe également sur certains sites en ligne qui acceptent désormais le bitcoin comme moyen de paiement.

L’engouement autour du bitcoin est mesurable. Selon Le Figaro, sur la seule journée du 4 novembre, Coinbase, la plateforme d’achat de devises numériques la plus fréquentée, a enregistré 100.000 nouveaux inscrits. Elle revendique actuellement 12,5 millions de clients. Au total, ce sont plusieurs dizaines de millions de personnes à travers le monde qui ont investi dans le bitcoin à un moment donné. Tous ne réalisent pas des opérations risquées de type ICO mais ils en ont la possibilité. C’est comme cela qu’un internaute lambda peut se faire arnaquer par le biais du bitcoin. Pour Jacques Favier, il faut donc rester très prudent : "N'investissez que ce que vous êtes prêts à perdre".