Crise du lait : quel rôle a joué la Chine ?

Un rayon de poudres de lait dans un supermarché de Pékin, le 4 juillet 2013. © WANG ZHAO / AFP
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Marianne Skorpis

La Chine, dont la demande a successivement augmenté puis baissé, a joué un rôle décisif dans le crise que connaît actuellement le secteur laitier.

L’année 2015 a été marquée par la baisse du prix du lait, qui a entraîné la mobilisation des producteurs en France. Celle-ci est toujours d’actualité, à la veille du Salon de l’agriculture. Pour expliquer cette situation, on évoque souvent la fin des quotas laitiers dans l’Union européenne, ainsi que l’embargo russe, mais la baisse de la demande de la Chine, devenue il y a une quinzaine d’années le premier importateur mondial de lait, a également joué un rôle décisif. Jean-Marc Chaumet, agro-économiste à l’Institut de l’élevage et à Abcis, fait le point pour Europe1.fr sur la politique chinoise dans le domaine du lait.

>> Quel est le rôle de la Chine dans la crise du lait ?

Dans les années 2000, le gouvernement a décidé de pousser les Chinois à consommer des produits laitiers. Ils en mangeaient très peu à l’époque. Entre 2000 et 2008, la production et la consommation de lait ont été multipliées par trois dans le pays. La production de lait a augmenté de manière assez peu contrôlée et différents scandales ont eu lieu, dont l’affaire de la mélamine en 2008. Elle a officiellement touché 300.000 bébés et causé la mort de six nourrissons. Les consommateurs chinois sont devenus méfiants : depuis 2008, ils ont délaissé la production nationale au profit des produits importés. La production intérieure a stagné et la Chine est le premier pays importateur mondial de lait. Elle pèse donc sur les marchés mondiaux des produits laitiers.

La Chine a acheté entre fin 2013 et début 2014 beaucoup de produits importés pour les stocker. Mais la consommation de produits laitiers a brusquement baissé dans le pays début 2014, à cause du ralentissement de l’économie, ainsi que des mesures anti-corruption. Beaucoup de produits stockés n’ont pas pu être écoulés et les importations ont donc baissé, alors que tout le monde pensait qu’elles allaient continuer à croître. Comme la Chine était le premier importateur mondial, ces évolutions ont fait baisser le cours du lait. Ces facteurs intérieurs se sont ajoutés à la fin des quotas laitiers dans l’Union europénne, qui ont provoqué une hausse de la production de lait. La demande de la Russie a elle aussi un peu baissé, mais moins que la Chine.

>> Pourquoi le gouvernement a-t-il poussé les Chinois à consommer du lait à partir des années 2000 ?

Cette politique a été menée pour des raisons nutritionnelles et économiques. Avant, le lait était réservé aux nourrissons, aux personnes âgées et aux malades. Il était surtout consommé dans les zones pastorales du Nord. Pékin voulait également développer la production intérieure de lait, pour permettre aux agriculteurs de gagner plus d’argent et a décidé de relâcher les contrôles sur les entreprises laitières.

Il y a eu une très grosse bataille entre les acteurs du secteur. Certains d’entre eux ont alors "mouillé" le lait, c’est-à-dire qu’il y ont mis de l’eau pour avoir de plus gros volumes. Ils ont également ajouté de la mélamine, pour masquer la plus faible teneur en azote du lait. Mais de trop grandes quantités de mélamine ont été utilisées et le pot aux roses a été découvert.

>> A quoi faut-il s’attendre désormais ?

La Chine continue à acheter beaucoup de lait liquide, ainsi que des poudres infantiles fabriquées et conditionnées à l’étranger. Elle importe des poudres grasses et maigres surtout de Nouvelle-Zélande, de la poudre de lactosérum de pays qui produisent du fromage, comme la France et les Etats-Unis, et du lait liquide d’Allemagne, de France et d’Australie. En volume global, c’est la Nouvelle-Zélande qui est le premier exportateur de lait en Chine. La France, qui exporte également pour ce pays, est donc concernée par la politique de la Chine dans ce domaine.

Il faut également compter sur la production intérieure chinoise. Il y a une tentative de reconquête du marché intérieur chinois, avec notamment des fusions-acquisitions d’entreprises pour lutter contre les leaders mondiaux du lait. Aujourd’hui, il ne faut pas voir la Chine comme un eldorado : l’importation de produits laitiers va continuer, mais elle sera beaucoup plus chaotique qu’avant. 

 

Le secteur laitier français et européen est principalement touché par une surproduction, qui entraîne une baisse du prix du lait. L’Union européenne a abandonné en avril 2015 le régime des quotas laitiers, mis en place en 1984. Cet outil de régulation fixait des seuils de production pour les Etats membres. Sa fin a provoqué une forte augmentation de la production de lait en Europe, notamment aux Pays-Bas et en Europe. Cette surproduction s’ajoute à l’embargo décrété en août 2014 par la Russie sur plusieurs produits alimentaires européens, dont le lait. Moscou a agi en représailles aux sanctions occidentales contre son rôle dans le conflit ukrainien.

Jeudi, une réunion a eu lieu à Matignon avec les professionnels du secteur, avant un entretien du Premier ministre Manuel Valls et du ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll avec le commissaire européen à l’Agriculture Phil Hogan et deux jours avant le début du Salon de l’agriculture. Les éleveurs français demandent de nouveaux dispositifs de régulation dans l’UE. Lundi aura lieu également la fin des négociations commerciales entre la grande distribution et les producteurs qui la fournissent. Elles concernent notamment le prix d’achat du lait.