Air France : trois questions autour du salaire des personnels navigants

L'intersyndicale d'Air France demande un "rattrapage" des salaires. Photo d'archives.
L'intersyndicale d'Air France demande un "rattrapage" des salaires. Photo d'archives. © KENZO TRIBOUILLARD / AFP
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Thibaud Le Meneec
La rémunération du personnel navigant d’Air France, qui poursuit sa grève mardi et mercredi, est au coeur des négociations tendues entre les salariés et leur direction.

Guerre de position à Air France. Au huitième jour de grève depuis fin février, le personnel navigant demande toujours un "rattrapage" des salaires de 5,1% en deux temps, après avoir initialement demandé une hausse immédiate de 6%. La direction propose quant à elle une hausse de 2% dès maintenant, puis 5% sur trois ans, sous certaines conditions de performance pour l’entreprise. Elle estime en effet qu’une trop forte augmentation des salaires conduirait à pénaliser la compagnie. Selon des chiffres révélés par Le Figaro, mardi, leurs salaires sont plus élevés que dans plusieurs compagnies étrangères et ont augmenté ces dernières années, point que contestent les syndicats. Alors les équipages de la compagnie aérienne ont-ils des conditions de travail si favorables ? Eléments de réponse. 

Des salaires plus faibles que dans d'autres compagnies ?

C’est le nerf de la guerre. L’intersyndicale demande un "rattrapage" global des salaires, selon elle trop bas au regard des efforts fournis par les salariés pour faire remonter une entreprise en difficulté par le passé. Depuis 2011, les effectifs ont chuté (de 58.000 à 29.500 équivalents temps pleins prévus fin 2019), des jours de RTT ont été perdus, le temps de travail a augmenté et les salaires n'ont pas connu de croissance, dénoncent les syndicats. Sont-ils beaucoup plus faibles qu’à la Lufthansa et chez British Airways, deux compagnies européennes de taille comparable ? Selon les chiffres du Figaro, le commandant de bord long-courrier est rémunéré 250.000 euros brut chez Air France, chiffre similaire à celui de son homologue de Lufthansa, mais supérieur aux 200.000 euros perçus en moyenne par celui de British Airways.

En net, ce salaire annuel passe à 130.000 euros pour Air France, 125.000 euros chez British Airways et 140.000 euros à Lufthansa. Une partie des syndicats remet en question ce chiffre : "Je ne gagne pas un centime de plus qu’un pilote d’Easyjet, moins bien qu’un pilote de Transavia, beaucoup moins bien qu’un pilote de Lufthansa", s’est plaint mardi matin sur Europe 1 Philippe Evain, commandant de bord et président du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) Air France. Cette affirmation est difficile à vérifier, tant les rémunérations varient selon l’expérience et le temps de vol. Il semblerait néanmoins que la rémunération nette annuelle ne dépasse pas les 110.000 euros pour les pilotes d'Easyjet, soit moins que les salaires moyens d'Air France, à en croire le site spécialisé Pilot Jobs Network.

" Les embauches étaient gelées donc forcément, par individu, il y a eu plus d'heures de vols produites et donc un salaire plus important "

Pour les copilotes, les Français sont en moyenne mieux payés que les Allemands et les Anglais en brut (75.000 contre 72.000 et 69.000 euros), mais moins bien rémunérés en net (45.000 contre 50.000 euros pour les deux autres compagnies). En revanche, la situation n’est pas la même pour les hôtesses et les stewards ainsi que pour les chefs de cabine. Ils sont mieux payés en brut que leurs homologues allemands et anglais (59.000 contre 46.500 et 46.000 euros pour les chefs de cabine, 46.000 contre 30.000 euros pour les hôtesses et les stewards). Et le sont aussi en net : les chefs de cabine perçoivent 40.000 euros en France contre 35.000 et 30.000 euros en Allemagne et au Royaume-Uni, tandis qu'hôtesses et stewards gagnent 30.000 euros en moyenne, 5.000 euros de plus qu'à la Lufthansa et 10.000 euros de plus que chez British Airways.

Ces salaires ont-ils augmenté depuis 2011 ?

La direction d’Air France avance par ailleurs que depuis 2011, il y a eu des augmentations de 4,5% de salaire pour un commandant de bord, 5% pour les hôtesses et les stewards et 17,4% pour un copilote. "C’est parfaitement faux", récuse Philippe Evain. "Les pilotes sont payés à l'heure de vol - on est payés à la tâche - et effectivement, l'activité a fortement augmenté depuis 2011. Les embauches étaient gelées donc forcément, par individu, il y a eu plus d'heures de vols produites et donc un salaire plus important."

Les charges et les taxes sont-elles trop élevées ?

L’intersyndicale et la direction partagent en tout cas un constat : le poids des charges sociales dans les comptes de l’entreprise, qui serait fragilisée vis-à-vis de ses concurrents européens et internationaux. Le Figaro évoque des charges patronales qui représentent 50% du salaire brut en France, quand ce chiffre tombe à 30% en Allemagne et 20% au Royaume-Uni. "La masse salariale est comparable aux autres pays européens, mais comme les charges sociales sont plus importantes, les salaires sont beaucoup plus bas qu’ailleurs", résume Philippe Evain.

Le montant de la redevance versée chaque année à Aéroports de Paris (ADP) est lui critiqué. Selon le détail des comptes publiés par ADP, Air France lui a versé 756 millions d’euros au titre des diverses redevances pour utiliser les aéroports de Roissy et d’Orly, en 2017. La compagnie tricolore n'est pas la seule à dénoncer ces montants : selon les estimations de la Fédération nationale de l’aviation marchande (FNAM), taxes et charges ont augmenté de 123% depuis quinze ans, pour atteindre au total 4,6 milliards d’euros par an. "Air France doit supporter environ 1 milliard d’euros de charges extérieures (hors carburant et salaires) en plus par rapport à ses ­rivales", regrette par ailleurs Philippe Evain.

Qu’en est-il du temps de vol ?

Chez Air France, on vole en moyenne 650 heures par an, quand les pilotes allemands et britanniques peuvent atteindre 750 heures. C’est la raison pour laquelle Air France considère que ses pilotes ont une productivité 15% plus faible que leurs homologues à l’étranger. D’autres compagnies font davantage voler leurs pilotes, comme 850 heures en début de carrière chez Iberia, sachant que la durée légale ne peut excéder 900 heures par an. Aux États-Unis, ce plafond légal passe à 1.000 heures de vol.

Enfin, Air France serait l’une des compagnies où les jours non-travaillés sont les plus nombreux en moyenne par mois (15) selon les données d'Accent PNC, journal interne édité par Air France sur les personnels navigants commerciaux (hôtesses, stewards), relayé en 2015 par le site spécialisé PNC-Contact. La compagnie se classerait derrière Air Canada et Delta Airlines (16,5) et KLM (15,5), tandis que la moyenne se situe un peu en dessous de 15 jours par mois. Les données pour le personnel navigant technique (pilotes, commandants de bord, copilotes…) n’étaient pas disponibles.