Vie privée : les alternatives à Google ont-elles un avenir ?

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RECHERCHE MOTEUR DESESPEREMMENT – Plusieurs moteurs de recherches, dont le Français Qwant, jouent la carte de la vie privée pour concurrencer Google.

Google a passé une semaine difficile. Mercredi, la Commission européenne a accusé le géant américain d'abus de position dominante dans la recherche sur internet, ce qui pourrait lui valoir une amende record. Jeudi, le Sénat français a également voté un amendement à la loi Macron visant à obliger Google de mettre en valeur ses concurrents. "Sa position dominante a des effets néfastes pour la libre concurrence et pour les consommateurs", taclait également Axelle Lemaire, secrétaire d'Etat en charge du numérique, invitée jeudi d'Europe 1.

Hasard du calendrier, c'est cette même semaine, mardi exactement, que Qwant, le moteur de recherche Made in France, présentait sa nouvelle mise à jour. L'entreprise d'une cinquantaine de salariés, basée à Paris et à Nice, se définit comme "aussi compétente que Google, tout en respectant la vie privée". A l'instar de Qwant, plusieurs moteurs de recherche misent sur la défense de la vie privée pour tenter de concurrencer le Californien. Et si c'était ça, le meilleur moyen de chatouiller l'empire Google ?

Un leader absolu. Pour l'heure, parler de position dominante n'est pas exagéré. Les chiffres de Google sont en effet faramineux. Le moteur de recherche américain s'arroge 65% des parts de marché dans le monde. Son principal concurrent, Baidu, leader en Chine notamment grâce à la censure du géant américain, arrive deuxième au niveau mondial, avec 8%. La Chine est d'ailleurs le seul  pays où Google n'arrive pas en tête en nombre de requêtes.

En Europe, l'hégémonie est encore plus impressionnante. Google représente 92% du marché sur le Vieux continent (même proportion en France), devant Bing, le moteur de recherche de Microsoft, et Yahoo!, dont les parts sont respectivement de… 2,82 % et 2,26 %. Aux Etats-Unis, Google a perdu un peu de terrain ces dernières années, mais draine tout de même encore 75% des requêtes.

"Ils font la même chose que Google en moins bien". Face à un tel empire, difficile pour un nouveau moteur de recherche de survivre, surtout si l'on n'est pas un géant comme Microsoft ou Yahoo!. Quelques uns y parviennent, comme le tchèque Seznam (21,5% de part contre 74% pour Google en République Tchèque) ou le Russe Yandex (32% contre 64% pour Google en Russie). Mais leur succès reste très local et ne leur permet pas de devenir des acteurs transnationaux.

"La plupart des moteurs n'arrivent pas à grandir car ils font la même chose que Google en moins bien. Nous, nous proposons une alternative", avance-t-on chez Qwant. Le moteur français, en effet, propose une offre différente du géant américain. Dans l'affichage d'abord : chez Qwant, vous tapez votre recherche et apparaissent en même temps, sur la même page, sous forme de colonnes, des résultats trouvés sur le web en général, sur les réseaux sociaux, dans l'actualité et sur les sites de commerce.

Le succès grâce à la vie privée ? Mais surtout, Qwant mise sur le respect de la vie privée et sur l'aspect "social" de la recherche pour attirer les internautes. Contrairement à Google, Qwant ne fait pas remonter les liens en fonction de l'achat de mots clés par les sites. Et surtout, le frenchie ne se sert pas des "cookies", ces logiciels espions installés sur votre ordinateur qui observent votre comportement sur la toile. Qwant fait remonter les liens en fonction de leur succès "social" : le nombre de partages sur les réseaux sociaux, de commentaires positifs, d'articles dans les médias… "Vous avez le droit à ce qu'un moteur de recherche ignore votre vie privée, vos opinions politiques ou l'endroit où vous êtes allés récemment. Nous n'avons pas besoin de vous surveiller pour vous donner des réponses pertinentes", insiste auprès d'Europe 1 Manuel Rozan, le cofondateur.

Avec 8 millions de requêtes par jour contre 1,5 milliard pour Google, le petit Qwant est certes encore loin de pouvoir gratouiller le géant américain. Mais il connaît une croissance impressionnante, estimée à 20% de requête en plus par mois. Existant en 15 langues, le frenchie attire d'ailleurs les investisseurs au-delà des frontières hexagonales, réussissant à lever 10 millions d'euros depuis sa création en 2013. Parmi ses actionnaires : le prestigieux groupe d'édition allemand Axel Springer, entré récemment au capital de Qwant à hauteur de 20%.

D'autres sites ont eux aussi joué la carte de la vie privée et commencent également à nouer avec le succès. L'Américain DuckDuckgo, par exemple, bannit aussi les cookies et rend anonymes les adresses IP, afin que l'internaute ne laisse aucune trace de sa recherche. Pour faire remonter les liens, il compile les résultats de nombreux autres moteurs (Bing, Yahoo! ou Wikipédia par exemple). Conséquences : il est passé, en deux ans, d'un peu moins d'un million de requêtes à plus de 8 millions lui aussi. A peu près sur le même modèle, les Hollandais Startpage et Ixquick connaissent une croissance exponentielle.

Quel modèle économique ? Reste la question de la rentabilité, qui est pour l'instant étrangère à ses bébés d'internet. Car en refusant de monnayer les mots clés ou de vendre des données collectées sur les internautes, ces moteurs prennent des risques financiers énormes. Qwant, par exemple, se rémunère en fonction du taux de clique sur les sites commerciaux. Un peu dans le même genre, DuckDuckGo perçoit une commission dès qu'un internaute achète un objet sur un site qu'il a trouvé grâce à lui. Ce dernier accepte aussi des sponsors publicitaires. Mais leur chiffre d'affaires, estimé en 2013 à 1,5 millions d'euros pour le Français et 780.000 euros pour le petit Américain, restent à plusieurs galaxies de celui de Google (plus de 60 milliards).

"Il est difficile de dire s'ils deviendront un jour rentables, il n'y a pas de précédent. Mais ce n'est pas le sujet. Le sujet, c'est l'audience. Quand un site a l'audience, le modèle économique suit", décrypte pour Europe 1 Guy Mamou-Mani, président du Syntec, le principal syndicat français de professionnels de l'industrie du numérique. Et de conclure : "ce qui est bien dans notre secteur, c'est que rien n'est impossible". 

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