Rester tard au travail : un mal bien français

Ce n'est pas parce qu'on reste au travail qu'on est plus efficace.
Ce n'est pas parce qu'on reste au travail qu'on est plus efficace. © MaxPPP
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Damien Brunon , modifié à
LE TRAVAIL, C’EST LA SANTÉ ? - Pour lutter contre ce fléau, seize grandes entreprises signent une charte contre le “présentéisme”.

L’INFO. “Tu as posé un jour de RTT?”. Cette phrase vous avez déjà dû l’entendre un jour où vous êtes sorti un peu plus tôt que d’habitude du travail. Car rester tard au bureau fait partie prenante du monde de l’entreprise en France et ça a un nom : le “présentéisme”. Pour les salariés, c’est un moyen de montrer leur motivation mais cela les rend souvent moins productif. Ce rythme impose aussi un choix entre la vie professionnelle et la vie familiale. C’est pour lutter contre les dérives du système que seize entreprises, dont Casino, Carrefour ou Bouygues Télécom, signent mercredi une charte visant à respecter les temps de vie familiale de leurs salariés.

Le présentéisme, c’est quoi ? La réunion prévue à 18h, le petit-déjeuner de travail en arrivant au bureau ou les mails professionnels du dimanche, le “présentéisme” est partout. Concrètement, c’est

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l’habitude de se montrer très disponible pour son travail. “C’est un signe de motivation, c’est sortir après 19h parce que ça fait bien. C’est comme ça en France, alors que dans les pays anglo-saxon, partir après 19h, c’est vu comme un signe d'inefficacité”, explique Jérôme Ballarin, au micro d'Europe1.fr. Ce dernier est le président de l’Observatoire de la Parentalité au Travail, à l’origine de la charte signée mercredi.

Des secteurs plus concernés. Si de manière générale, l’ensemble du monde du travail est touché par la problématique, les secteurs du conseil ou de l’audit sont particulièrement concernés. “Il y a beaucoup de pression sur les salariés parce qu’il y a une pression des clients dans ces métiers”, détaille Denis Monneuse, sociologue spécialiste de la question, au micro d’Europe 1.fr.

“Comme les salariés facturent très cher leurs services, les clients sont très exigeants. Il n’est donc pas rare de voir des gens travailler jusqu’à 22h dans ces entreprises”, poursuit-il. “Le secteur de la banque d’affaires est aussi réputé pour ses horaires démentiels. Il y a souvent un sentiment d’urgence lorsqu’il faut préparer une fusion ou un rachat”.

Une question d’honneur. A l’instar du Japon, la problématique du “présentéisme” est très imprégnée dans la culture française. Ainsi, les cadres font du fait de rester tard au travail une question d’honneur. “Quand on est cadre, il faut montrer qu’on est capable de rester tard le soir, qu’on est un salarié un peu supérieur aux autres”, confirme Denis Monneuse.

“Cette logique de l’honneur, elle remonte à l’ancien régime. Il y avait le Tiers état d’un côté et la Noblesse de l’autre. C’est cette forme de castes que l’on retrouve dans le monde de l’entreprise entre les cadres et les non cadres”, poursuit le sociologue.

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Un cercle vicieux.  Le problème, c’est que rester plus tard au travail ne veut pas dire que l’on est plus efficace. Plus de travail, c’est plus de fatigue, et donc un risque accru de faute dommageable pour l’entreprise et en bout de chaîne pour l’avancement du salarié.

De plus, rester longtemps au bureau, ça veut dire moins de temps avec la famille, avec les amis ou simplement au cinéma. “Pourtant, on se rend compte que lorsqu’un salarié est équilibré, il va être plus créatif, plus innovant, parce qu’il va s’enrichir à l’extérieur de l’entreprise de plein d’expériences”, affirme Jérôme Ballarin.

Une charte comme solution ? Ce que l’on croyait être positif pour l’entreprise s’avère donc plutôt dommageable. C’est à partir de ce constat que certaines enseignes commencent donc à revoir leurs méthodes de management. Dans cet esprit, seize d’entre elles, dont Coca-Cola, Allianz ou encore Casino, ont décidé de signer une charte “pour l’équilibre des temps” entre le travail et la vie personnelle.

Même si le texte n’est pas contraignant, il a déjà fait ses preuves, notamment chez Axa, qui l’a adopté en 2012. La charte impose par exemple de ne pas prévoir de réunion avant 9h ou après 18h mais aussi de limiter les mails professionnels. Quinze engagements symboliques pour rappeler aux entreprises comme aux salariés qu’il y a une vie après le travail.