Le Brésil est-il vraiment un modèle ?

© MAXPPP
  • Copié
En passe de devenir la 6e puissance économique mondiale, il renferme toujours autant d'inégalités.

Neuvième puissance mondiale dans les années 1980, le Brésil connaît depuis deux ans une incroyable montée en puissance. Le pays a délogé l'Italie de la 7e place mondiale cette année, et devrait prendre celle du Royaume-Uni d'ici la fin 2011, selon les projections du Fonds monétaire international.

A l'horizon 2016, le Brésil pourrait même intégrer le Top 5 aux dépens de la France, selon différentes perspectives économiques. Mais ce fort développement extérieur cache mal un renforcement en interne des inégalités. Le Brésil doit-il vraiment être érigé en exemple ?  "Oui et non", répond le spécialiste Pierre Salama. Europe1.fr dresse le portrait d'un pays en pleine mutation.

La Chine, un allié de poids

Après une croissance moyenne "classique", le Brésil a connu une hausse sérieuse à partir de 2006 "avec +4,5%". "Après une légère baisse subie en 2009, le pays a enregistré en 2010 une croissance à +7% du PIB, c'est colossal", s'étonne Pierre Salama, enseignant à l'Université Paris 13 et spécialiste de l'Amérique latine, interrogé par Europe1.fr.

Pour obtenir une telle croissance, le pays a pu compter sur un allié de poids : la Chine. La deuxième puissance mondiale importe beaucoup de matières premières du Brésil. "Le pays a bénéficié de la hausse des commandes de matières premières et de l'augmentation du prix de celles-ci", appuie Pierre Salama, qui évoque cependant une "surchauffe de l'économie".

A la Chine, il faut ajouter l'aide des Américains, qui préfèrent placer leur argent dans les banques brésiliennes "où les taux d'intérêts sont très avantageux". Résultat : le jeu des monnaies conduit à une inflation plus importante que prévue.

Ajoutons une prudence dans les investissements extérieurs entrepris par Dilma Roussef, la nouvelle présidente du pays. "Avec elle, le Brésil a abandonné l'idée d'acheter des rafales françaises", cite par exemple le spécialiste de l'Amérique du Sud.

Selon lui, le pays "ne pourra pas conserver une croissance à 7%. C'est impossible". La faute à un manque d'investissements sur le territoire national. "Seuls 17-18% du PIB sont investis dans les infrastructures. A titre de comparaison, la Chine en investit 46%. Il en faudrait au moins 25% pour que le Brésil conserve une croissance autour de 4 ou 5%".

Hausse du salaire minimum

Ce changement de statut mondial a aussi changé la donne sur le territoire. "Le président Lula a eu une forte politique de redistribution. Il a opéré une très forte hausse du salaire minimum, qui a eu pour conséquence de faire augmenter les retraites et les aides sociales", analyse Pierre Salama. Ainsi, évidemment, que la consommation. Ce n'est pas rien dans un pays où "entre 100 et 140 millions de personnes" font partie de la classe moyenne, soit au minimum un Brésilien sur deux.

Cela n'empêche pas les inégalités de persister. Cette politique de redistribution de Lula a surtout permis aux plus aisés d'accroître leurs revenus. "Au Brésil, on trouve facilement un hôtel particulier à côté de maisons en bois, sans aller dans les favelas", explique Thaïs Botelho, une Brésilienne qui vit depuis dix ans en France. "Certains ont du mal à se payer les moyens de transports quand d'autres se déplacent en hélicoptère en pleine ville".

Acheter une paire de basket en dix fois

Quant à la consommation, "Lula a développer le crédit à la consommation et à l'habitation", relate Pierre Salama. Résultat, "les Brésiliens achètent tout à crédit. Ils achètent une paire de baskets en dix fois. D'ailleurs, dans les supermarchés, le prix affiché en gros tient compte des mensualités. Le prix total figure en-dessous, plus discret", explique Thaïs Botelho qui a compris que ce mode de paiement n'était pas sain en arrivant en France. La jeune femme se souvient au passage de ses parents, "obligés d'acheter mes fournitures scolaires à crédit".

Ce surendettement courant n'enlève pas aux Brésiliens la volonté de s'en sortir. Au gré de ses nombreux voyages dans le Nordeste, Ariane Delgrange, cofondatrice de l'ONG Essor qui aide les plus démunis dans les pays lusophones, a pu l'apprécier. "Ils sont très entrepreneurs. La durée légale de travail au Brésil est de 44 heures, c'est 9 de plus qu'en France", commente-t-elle, constatant toutefois "de plus en plus de ghettoïsation". Et les choses bougent difficilement. "Les Brésiliens n'ont pas l'esprit associatif, contrairement aux Français. Ils ont moins le souci du démuni".

"On part de très loin"

Dans un pays gangrené par la violence et la drogue – il est le 2e pays où le taux d'homicide pour 100 000 habitants est le plus élevé derrière l'Afrique du Sud –, le système D domine. "Il y a beaucoup de travail informel, de petits boulots au Brésil", constate Ariane Delgrange qui voit la situation s'améliorer certes, "mais on part de très loin".

Ces fortes disparités gênent l'essor d'un pays qui sera très bientôt au premier plan sur la scène internationale avec l'organisation de la Coupe du monde de football 2014 et des Jeux Olympiques 2016. Car le Brésil "subit" sa croissance. Son exposition à la crise de la zone euro via la Chine et son manque de modernisation dans les infrastructures sont la preuve d'une expansion instable.

"La Coupe du monde de football en 2014 et les Jeux Olympiques en 2016 pourraient achever de faire rentrer le Brésil parmi les grands, à condition que l'organisation soit réussie", conclut Pierre Salama.