Air France : une grève pour rien ?

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Noémi Marois
BILAN - Les pilotes ont mis fin à leur grève mais sans obtenir d’accord avec leur direction, à quoi à servi la mobilisation ?

Tout ça pour ça ? Voilà ce que beaucoup se sont dit en apprenant dimanche la fin de la grève des pilotes d’Air France. En effet, le mouvement social qui a paralysé la compagnie aérienne pendant  14 jours laisse un goût d’inachevé à tout le monde. Le bilan se résume-t-il à un perdant/perdant ? Europe 1 a fait appel à un regard extérieur en interrogeant Christian Schmidt, professeur d’économie et spécialiste du transport aérien à l'université Paris Dauphine. 

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Tout le monde sort perdant ? C’est la première impression qui ressort de ce mouvement social. Les syndicats de pilotes s’opposaient au plan "Perform 2020" qui projetait de développer la filiale low cost Transavia Europe. Ils demandaient à ce que leurs conditions de travail sur cette dernière soient les mêmes que celles sur Air France. 

À l’issue du conflit, ils n’ont obtenu aucun accord avec la direction. Christian Schmidt n’est pas étonné : "c’était des positions incompatibles". Mais ce n’est pas vraiment un perdant-perdant, juge-t-il. "Je parlerai plutôt d’un non-gagnant/non-gagnant. Mais Air France est plus non gagnant que les pilotes cars elle a dû renoncer à Transavia Europe". 

La compagnie française perd d’autant plus que l’idée de développer Transavia France, un temps proposé aux syndicats, ne suffira pas selon l’économiste : "L’échelle nationale n’est plus crédible dans le monde d’aujourd’hui pour les compagnies aériennes". 

La direction est fautive ? En quelque sorte si on en croit l’économiste : "Pendant longtemps, les grandes compagnies ont sous-estimé le low cost. À tord. La croissance de ce dernier est en progression continue. Il capte aujourd’hui 18% du trafic aérien et devrait atteindre, selon les prévisions, les 30% d’ici 2020". Air France, qui se sait en retard de plusieurs années, a donc "voulu agir vite", quitte à prendre un peu vite le virage des négociations.

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Les syndicats ont parié à tord sur la durée du conflit. Christian Schmidt n’épargne pas non plus les syndicats: "Depuis 2013, les comptes de la compagnie sont bons et les prévisions pour l’ensemble de l’année 2014 étaient optimistes. Les syndicats ont donc fait un calcul : plus la grève dure, plus ça va coûtait à la compagnie, donc, la direction cédera.  Mais ce calcul s’est révélé faux". L’économiste explique que si le rapport de force leur a d’abord été favorable étant donné qu’ils sont indispensables aux vols des avions, "à la longue, ce qu’ils ont récolté, c’est l’impopularité avec l’image d’‘une grève de riches’". Christian Schmidt évoque aussi l’impopularité au sein même de la compagnie car les autres personnels d’Air France se serrent déjà la ceinture. 

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Les pilotes ont "surestimé leur puissance". Mais pour l’économiste, "les syndicats ont surtout surestimé la puissance des pilotes".  La fin de la grève sans accord marque selon lui, "la fin du règne des ‘seigneurs du ciel’". Ils ont longtemps été au centre des compagnies aériennes. Mais avec le modèle low cost, les pilotes perdent en quelque sorte leur statut de "star". Chez Ryanair ou easyJet, ce sont les règles commerciales qui règnent en maître et non plus les pilotes.Les pilotes ne sont pas les seuls à devoir battre leur coulpe : "auparavant, les aiguilleurs du ciel étaient aussi très important. Maintenant, ce n'est plus le cas". Une grève de leur part paralysait les aéroports jusqu’à ce que des machines, des radars… soient capables de les remplacer.

Et ils "doivent s’adapter à la demande". La démocratisation du transport aérien a-t-il fait chuter le pilote de son piédestal ? "Un peu", admet Christian Schmidt, "le pilote pouvait en effet être riche tant qu’il transportait des riches". Mais désormais, il doit s’adapter à la demande qui a changé : "Aujourd’hui, les classes aisées se tournent vers les vols haut de gamme qui ont tendance à stagner. Les classes moyennes sont de moins en moins nombreuses.  Maintenant, l’avenir du transport aérien, c’est le client qui est un touriste et qui n’est pas riche. Les pilotes doivent donc s'adapter".

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On naît low cost, on ne le devient pas ? "C’est vrai en partie", admet Christian Schmidt. "Ryanair et easyJet se sont développés un peu sur le modèle des start-up alors que les grandes compagnies sont nées souvent grâce à des aides étatiques". 

Mais l’affirmation est en partie fausse selon l’économiste : "Je pense que les grandes compagnies sont capables de s’adapter et de développer du low cost". Ont-elles le choix ? "Pas vraiment". "Désormais pour survivre, une grande compagnie doit jouer sur tous les tableaux, du haut de gamme au low cost". Et ce n’est pas un problème français précise-t-il : "l’enjeu est européen, prenez pas exemple la grève qui touche Lufthansa mardi".

Que peut faire désormais Air France ? Pour développer son offre low cost, Air France a deux solutions aux yeux de Christian Schmidt : "La direction peut décider d’acheter une compagnie déjà existante pour en faire du low cost, ou bien elle peut ressortir son plan de développement Transavia Europe, sous une autre forme" … afin d’éviter une nouvelle grève de ses pilotes de laquelle tout le monde pourrait à nouveau sortir perdant. 

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