Retour sur... "Dans la chaleur de la nuit" : les États-Unis face à leurs démons

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G.P. , modifié à
TÉLÉVISION - Lundi, Arte diffuse à 22h20 le film de Norman Jewison, qui relate l'enquête d'un policier noir dans une petite ville du Mississippi, gangrenée par la ségrégation raciale.

Sorti en 1967, soit trois ans après le vote du Civil Rights Act - loi américaine interdisant toute forme de discrimination et de ségrégation dans les lieux publics et à l'embauche - Dans la chaleur de la nuit osait confronter les Etats-Unis au racisme endémique qui gangrenait certaines de ses régions.

Contraires et oppositions

Le film de Norman Jewison, diffusé sur Arte à 22h20 lundi, se déroule dans une petite ville du Mississippi, Sparta. Un homme a été tué : un notable blanc venu "pour construire une usine et faire prospérer la ville". Rapidement, l'adjoint du shérif, à la recherche d'un suspect, croise la route d'un homme noir, ayant beaucoup d'argent sur lui. Pour le policier, il n'y a aucun doute, la couleur de peau de cet inconnu le condamne : il est le coupable.

Quelques vérifications plus tard, la shérif et ses collègues découvrent cependant que cet homme est Virgil Tibbs, enquêteur de la brigade criminelle de la ville de Philadelphie. Relâché sans excuse, Virgil Tibbs (Sidney Poitier) doit tout de même rester dans cette ville de province et collaborer avec ceux qui l'incriminaient quelques heures plus tôt, après un ordre de son supérieur. Il va donc mener l'enquête, sur un territoire encore fortement marqué par un passé esclavagiste.

Dans la chaleur de la nuit n'édulcore pas son sujet. Référence aux sévices de l'esclavage, longs plans sur les champs de cotons, utilisation du mot "nègre" dans les dialogues, le long-métrage confronte son spectateur à la violence physique et verbale subie par la communauté afro-américaine à cette époque. Triplement coincé - d'abord suspect, puis dans la ville et enfin par l'enquête - le personnage de Sidney Poitier doit se résoudre à composer avec ce milieu hostile.

Au-delà des différences de communautés, Norman Jewison fait ressortir d'autres oppositions. Virgil Tibbs vient de Philadelphie, grande ville du Nord-Est des Etats-Unis, qui n'a pas grand-chose en commun avec Sparta, située au fin fond du Mississippi. La ville et la campagne sont dépeintes comme deux espaces contraires, aux mentalités différentes. Un dialogue entre le shérif et l'enquêteur Tibbs, vers le milieu du film, résume cet antagonisme  : "Virgil ? Drôle de nom pour un nègre de Philadelphie. Comment est-ce qu'ils vous appellent là-bas ? ; Ils disent courtoisement 'Monsieur Tibbs' !" Norman Jewison fait ainsi du racisme un problème global, en interaction avec d'autres maux plus profonds dans la société américaine.

Rappel du passé

Certains films traversent les époques et restent dans les mémoires, comme immunisés par le temps qui passe. Dans la chaleur de la nuit trouve, lui aussi, mais pour de mauvaises raisons, encore un écho aujourd'hui. La brutalité des policiers envers Virgil Tibbs, au début du film, rappelle évidemment l'accumulation de faits-divers outre-Atlantique en 2016, mêlant la police et la communauté afro-américaine.

Au-delà des faits, il y a aussi les images. Dans le tout-visible d'aujourd'hui, bon nombres de ces brutalités et homicides de 2016 ont été enregistrés puis diffusés sur les réseaux sociaux, relayés notamment par les sympathisants du mouvement Black Lives Matter ("les vies des Noirs comptent"). Comment, devant Dans la chaleur de la nuit et ses scènes de tensions raciales, ne pas voir l'ancêtre de ces vidéos ? Norman Jewison aurait sans doute aimé que son film, sorti trois ans après le Civil Rights Act, soit la dernière pierre posée sur la tombe de la ségrégation raciale. Comme le témoignage d'un monde révolu. Mais parfois le présent s'occupe de déterrer le passé.