Pourquoi les séries télévisées françaises sont-elles si courtes ?

"Fais pas ci, fais pas ça" s'est fini au terme de neuf saisons à succès sur France 2
"Fais pas ci, fais pas ça" s'est fini au terme de neuf saisons à succès sur France 2 © capture d'écran France 2
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M.R. , modifié à
Contrairement aux séries à succès américaines, les séries françaises comportent entre six et douze épisodes par saison et vont rarement au-delà de la douzième saison. 

Après neuf saisons, le dernier épisode de la série Fais pas ci, fais pas ça a été diffusé jeudi. Une ultime saison qui n'a compté que six épisodes (comme les deux saisons précédentes) contre le double dans la saison 1. Une tendance aux épisodes plus longs (40 minutes dans la première saison et 52 par la suite) mais moins nombreux qui n'est pas unique dans la production de séries françaises. De Un village français diffusé sur France 3 à la série Braquo de Canal+ en passant par Ainsi soit-il d'Arte, les séries à succès dépassent rarement les douze saisons. Une exception : Section de recherches de TF1 qui promet un douzième volet. Face aux mastodontes américains qui peuvent produire 14 saisons de 24 épisodes chacun, pourquoi les séries françaises sont-elle si courtes ?

D'importants risques financiers. Les budgets des séries américaines à succès n'ont rien de comparable avec leurs équivalents français qui sont produits par des indépendants la plupart du temps. Outre-Atlantique, les studios de productions sont bien plus gros et peuvent profiter de financements destinés à exporter leurs produits à l'international. Un luxe qui n'est pas encore à la portée des Français qui ne vendent leurs séries, pour le moment, qu'en Europe. Les producteurs américains peuvent donc, plus facilement que les Français, prendre le risque de parier sur une série qui ne va pas fonctionner à coup sûr.  

"En France, le processus d'écriture est financé à 50% par le diffuseur quand un projet est lancé", explique Noor Sadar, fondateur et producteur de LOVEMYTV (Makever) à Europe1.fr, "mais sans garantie de mise en production. Le producteur prend donc le risque de perdre beaucoup d'argent." 

Un processus d'écriture qui reste cher. Ce qui prend le plus de temps, c'est l'écriture. "Nous n'avons pas du tout la même méthode que les Américains", ajoute le producteur. "Eux se réunissent à plusieurs auteurs, en atelier d'écriture. Ce qui se fait peu en France, car on n'a pas les moyens de mobiliser plusieurs auteurs de séries sur un même projet à plein temps."

Certains projets nécessitent quatre à cinq ans d'écriture et il est difficile de mobiliser plusieurs auteurs sur une période aussi longue. Les deux années qui se sont écoulées entre l'idée de départ et la diffusion de la nouvelle série produite par Noor Sadar paraissent en comparaison bien courtes. Mais l'écriture des quatre épisodes de 52 minutes a tout de même été l'étape la plus longue. "En réalité, le tournage c'est la partie la plus rapide. On consacre 10 jours par épisode", détaille-t-il.

Entendu sur europe1 :
Il vaut mieux avoir six épisodes tous les ans que 22 tous les trois ans

Premier enjeu des diffuseurs : industrialiser la production d'une série. Mais pour Alain Carrazé, journaliste spécialisé dans les séries et chroniqueur du Grand direct des Médias d'Europe 1, ce délai est déjà trop long pour fidéliser le spectateur entre deux saisons. "Quand on fait attendre le spectateur plus d'un an pour la nouvelle saison, il s'en détourne", constate-t-il. "L'enjeu principal des diffuseurs est donc de faire en sorte que la série soit produite de façon très régulière." Et dans cette perspective, "il vaut mieux avoir six épisodes tous les ans que 22 tous les trois ans."

Mais pour parvenir à un tel rendement, la production doit changer son système. "Pendant qu'un réalisateur tourne un épisode, un autre doit monter le précédent et un troisième préparer le suivant." Pour avoir une diffusion régulière, il faut donc pouvoir déployer de grandes équipes aussi bien de réalisateurs que de scénaristes.

Pas toujours facile de conserver les mêmes acteurs d'une saison à l'autre. Mais un élément ne peut pas changer pour conserver la cohérence d'une série : l'équipe d'acteurs. Et là encore, la France n'a pas encore trouvé le cadre juridique et le système de production adéquat pour répondre à cette contrainte. "Aux États-Unis, quand on fait une série, dès le pilote les acteurs signent un contrat de sept ans", explique Alain Carrazé. Si la première saison fonctionne, cela assure un travail régulier sur plusieurs années aux acteurs qui sont de toute manière déjà engagés. Producteurs et acteurs y trouvent donc leur compte.

Mais en France, aucun système similaire n'existe. "On ne peut pas faire signer un contrat même de trois ans à un acteur sans avoir la certitude que le tournage va se poursuivre", regrette le journaliste spécialisé. Les acteurs vont donc chercher des contrats ailleurs pendant les deux ou trois ans de latence entre deux saisons, quitte à ne plus être disponibles au moment d'un nouveau tournage.

Seul contre-exemple qui tient au scénario lui-même : la série de France 2, Les hommes de l'ombre. "Dès le début, le scénario était prévu pour être un triptyque : l'accession au pouvoir, le règne puis la chute." Si la série fonctionnait, les trois saisons étaient assurées. Les acteurs pouvaient donc s'engager en sachant où ils allaient.

Entendu sur europe1 :
Huit heures pour raconter une belle histoire, c'est largement assez

De la série "bouclée" au scénario "feuilletonnant". L'une des particularités des séries à succès dans l'Hexagone, c'est son mode d'écriture. Alors que la plupart des séries américaines, notamment policières comme NCIS, proposent des épisodes qui ont leur propre unité (qu'on appelle "bouclés"), les séries comme Engrenages (Canal +) ou Chefs (France 2) ont une intrigue qui se développe avec parcimonie sur toute une saison (en feuilleton). "Donc même avec peu d'épisodes, on a huit heures pour raconter une belle histoire, c'est largement assez", constate Noor Sadar. C'est souvent cette intrigue resserrée qui créé l'addiction chez les spectateurs. Dans cette perspective, il n'est plus nécessaire de faire courir une intrigue sur une vingtaine d'épisodes pour accrocher le spectateur. Une nouvelle manière d'écrire à laquelle les Américains sont d'ailleurs en train de revenir.

De l'épisode hebdomadaire au "binge watching". Les modes de consommations des séries pourraient également avoir une certaine influence sur leur écriture. Alors que traditionnellement, il fallait attendre une semaine pour voir la suite de sa série favorite, désormais les spectateurs veulent tout voir d'un seul coup. Et comme le temps du spectateur n'est pas compressible, "il préfère consommer une série de 12 épisodes tous les trois mois plutôt que d'attendre toutes les semaines pour voir une saison entière sur une année", détaille le journaliste Alain Carrazé. "Ce système permet aussi aux diffuseurs de renouveler plus souvent leurs programmes."

D'ailleurs face à ce phénomène de "binge watching", de plus en plus de studios de production se détachent de ce mode de diffusion sur plusieurs semaines pour proposer une série complète sur des plateformes de téléchargement légal. "C'est l'offre qui s'adapte à la demande", conclut pour sa part Noor Sadar.