Nelson Mandela, une vie de lutte pour la justice et la liberté

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Stéphane Bern, édité par Alexis Patri
Le bras dressé vers le ciel, le poing serré, il est l'un des poings levés les plus célèbres du 20e siècle, celui d'un homme qui en fut l'un des derniers grands héros. Des geôles sud-africaines à la présidence du pays de l'apartheid, Stéphane Bern raconte dans "Historiquement vôtre" la vie de Nelson Mandela.

Aux alentours de 16h, ce 11 février 1990, des dizaines de journalistes, majoritairement blancs, et des centaines de Sud-Africains, principalement noirs, attendent fébrilement devant la prison de Victor Verster, à 60 kilomètres au nord de la ville du Cap, en Afrique du Sud. "C'est pour aujourd'hui !", peut-on entendre dans la foule impatiente. Après 27 années d'enfermement, il devrait enfin être libéré. "Il", c'est Nelson Mandela. Et enfin, il apparaît. 

"La marche vers la justice et la liberté est irréversible"

Grand, élégant dans son costume gris, il s'avance lentement du haut de ses 71 ans, tenant fermement la main de celle qui l'a soutenu depuis leur mariage en 1958 : sa femme Winnie. C'est elle qui la première lève le poing pour saluer la foule. C'est lui qui, quelques secondes plus tard, l'imite à son tour. Nelson Mandela lève un bras, puis les deux, les doigts serrés vaillamment dans la paume en signe de victoire. Le poing érigé vers le ciel, la tête relevée face à ses anciens bourreaux, les pieds déterminés à ouvrir la voie à une nouvelle ère sud-africaine : celle de la liberté.

Mais cette folle journée, après 27 ans d'incarcération, est loin d'être terminée. Arrivé à l'hôtel de ville du Cap où des milliers de sympathisants l'attendent, euphoriques, Nelson Mandela tarde à prendre la parole. Quels seront ses premiers mots d'homme libre ? Une nouvelle fois le poing levé, il s'avance vers le micro et prend la parole : "La marche vers la justice et la liberté est irréversible. J'ai beaucoup parlé de liberté durant ma vie. Votre lutte, votre dévouement et votre discipline m'ont permis de me tenir devant vous aujourd'hui", clame-t-il à la foule.

De Rolihlahla Mandela à Nelson Mandela

Ce dévouement au service des Sud-africains habite Nelson Mandela depuis son enfance. Il naît le 18 juillet 1918 à Mvezo, un petit village du Transkei, une province du sud du pays. Ses parents lui donnent le nom de Rolihlahla Mandela qui signifie, cela ne s'invente pas, le "secoueur d'arbres" ou le "fauteur de troubles". Son père, le chef du village, refuse un jour de se soumettre aux représentants coloniaux. Il perd alors son travail, son bétail, une grande partie de ses terres et doit envoyer femme et enfants à Qunu, un village très modeste.

La famille habite alors de simples huttes en briques de boue séchée. Mandela a pour seul habit une couverture rouge, il se nourrit de bouillie de blé, de haricots et de lait. Sa principale occupation est de garder les moutons et les vaches et de se bagarrer avec les autres enfants. Son père, qui souhaite voir son fils aîné accomplir de grands desseins, l'envoie à l’école. C'est là que la maîtresse, comme le veut la tradition, lui donne le nom anglais de Nelson. Un nom qui ne le quittera plus jamais.

À la mort de son père, le petit Nelson est envoyé vivre dans la résidence royale de la tribu Thembu, à une journée de marche. Là, il écoute consterné lors de veillées autour du feu comment les Hollandais et les Anglais ont pillé et colonisé son pays. Au fil des années, Mandela comprend vite que pour espérer un jour vivre librement, il va devoir faire preuve d’une extrême pugnacité.

Nelson Mandela adhère totalement à la résistance non-violente de Gandhi qu'il admire. Alors, après des études de droit, il devient le premier avocat noir inscrit au barreau de Johannesburg. Avec son associé Oliver Tambo, ils défendent tous ceux qui sont victimes de discrimination.

L'apartheid, le racisme fait loi

Car depuis 1948, le racisme ne se cache plus, il est inscrit dans la loi. Le parti national met en place l'apartheid. Cette politique ségrégationniste part du postulat que les Blancs (10% de la population du pays) et les non-Blancs (donc les Noirs, les métisses et les Asiatiques), ne doivent pas se mélanger. Ainsi, les non Blancs n'ont pas le droit d'habiter où ils le souhaitent : ils sont regroupés dans des quartiers pauvres, les "townships", à la périphérie des villes.

Ils ne peuvent circuler librement, doivent porter un "laissez-passer" en permanence sur eux. Leurs enfants ont interdiction de fréquenter les mêmes écoles que celles des enfants à la peau blanche. Pour Nelson Mandela, la situation est insupportable. Il adhère très rapidement à l'ANC : un parti politique qui veut éradiquer cette ségrégation raciale. Il organise des campagnes de désobéissance civile où des milliers de manifestants détruisent leur laissez-passer. Il incite les militants à monter dans des wagons réservés aux Blancs, à sortir en dehors du couvre-feu.

Fin de la non-violence et emprisonnement

Mais en 1960 à Sharpeville, la réponse des policiers est sanglante : on déplore 180 blessés et près de 69 morts. Parmi eux, 29 enfants. Pour Nelson Mandela, c'en est trop. Il faut à présent passer à une méthode de résistance plus musclée. Quelques mois plus tard, Nelson Mandela est nommé commandant de la "Lance de la nation", une armée de rebelles qui fait sauter des conduites d'eau ou des centrales électriques, des militants qui placent des explosifs sous les voitures de police.

Mandela, qui a déjà été emprisonné une première fois pour ses liens avec l'ANC, vit à présent dans la clandestinité, joue au jeu du chat et de la souris avec les autorités. Il tombe finalement dans un guet-apens policier en 1962. Arrêté, Mandela, comme 19 de ses camarades, est condamné à la prison à perpétuité.

C'est sous le matricule 46-664 qu'il entre à l'hiver 1964 au bagne de Robben Island, dans une cellule de 2,50m² sur 2,70m². Si petite qu'il peut à peine s'allonger pour dormir, alors qu'une ampoule éclaire la pièce nuit et jour, sans discontinuer. Chaque jour, Mandela reçoit des crachats et des insultes des gardiens. Lui qui se soumet au travail forcé dans une carrière de la région où il passe ses journées à casser des cailloux sous un soleil de plomb.

On ne l'autorise à écrire qu'une seule lettre de 500 mots tous les six mois. On lui refuse même d'assister à l'enterrement de sa mère puis de son fils. Mais Mandela, au lieu de s'effondrer, résiste comme personne ne l'aurait imaginé. Il serre les dents et le poing. Pendant 27 ans, transféré de prison par deux fois pour finir à Victor Verster, il continue de se former au droit, il écrit son autobiographie aussi. C'est lui qui négocie avec Frédérik de Klerk. Pari réussi. Le 2 février 1990, le Président sud-africain annonce devant le Parlement la levée de l'interdiction de l'ANC et la libération de tous les prisonniers.

Le 10 mai 1994, Mandela est officiellement élu président de la République, devenant le premier homme noir à accéder à cette fonction. "L'Afrique du Sud est un pays où vivent beaucoup de races différentes. Il y a une place pour chacune d'entre elles", déclare celui qui a reçu, quelques mois avant son élection, le Prix Nobel de la paix, un homme, un héros qui a parcouru "un long chemin vers la liberté", et celle de son peuple en premier.